Le Canard enchaîné du 3 décembre 2003
"L'intendance suivra" : de Gaulle le croyait, et Dominique de Villepin aussi, qui n'a pas suivi de très près, cet automne, l'évolution de son budget. Lequel depuis dix ans, diminue très régulièrement. Résultat : le Quai d'Orsay a connu le 1er décembre une grève massive, pour la première fois de son histoire, destinée à dénoncer l'austérité qui frappe le ministère, ses ambassades et ses consulats. En septembre, "Le Canard" l'avait annoncé : nos estimés diplomates devaient racler les fonds de tiroir. Les annulations de crédit en 2003 - 49 millions d'euros - représentent à elles seules une diminution de 6 % de ce budget.
Le 20 octobre dernier, le patron du Quai recevait une première fois les syndicats, heureusement surpris. Hubert Védrine ne les avait pas habitués à tant de prévenance... Et Villepin de se lancer, pendant deux plombes, dans un long exposé de géopolitique devant des interlocuteurs admiratifs. Interlocuteurs qui l'interrogent tout de même, en fin de séance, sur les 20 millions d'euros de diminution de crédits (sur un budget total de 126 millions) qui frappent les indemnités de résidence des fonctionnaires expatriés. Étonné de l'ampleur des coupes, Villepin promet d'aller plaider ce dossier devant son collègue du Budget, Alain Lambert.
Ce qu'il fait, mais ans grand succès. Lorsqu'il reçoit de nouveau les syndicats, le 20 novembre, Villepin n'a pas beaucoup de gras à négocier. En revanche, il saoule une nouvelle fois ses interlocuteurs de grandes digressions sur le monde qui perd ses repères, à l'image de la fin de l'Empire romain... Au bout de deux heures de palabres, les représentants syndicaux, excédés, ne peuvent qu'agiter la menace d'une grève.
Seul petit succès à l'actif des collaborateurs de Villepin, le Quai d'Orsay avait obtenu de Bercy, dès l'été et à l'arraché, une rallonge de 8 millions d'euros sur un autre chapitre budgétaire concernant les personnels non expatriés. Cette manne, Villepin aurait pu en discuter l'usage avec les syndicats, comme s'y serait employé tout vieux routier de la négociation. Au lieu de cela, le ministre a décidé d'autorité, après consultation de son seul cabinet, de l'affecter à l'amélioration de la couverture sociale des contractuels locaux, fort mal payés, auxquels il est fait de plus en plus appel. Austérité oblige.
Dernier acte, le 27 novembre, Villepin réunit dans le grand salon de l'horloge quelque 600 fonctionnaires du ministère, c'est-à-dire les diplomates en poste à Paris, pour plaider, d'un ton plus hésitant que d'ordinaire, "les circonstances difficiles" d'un mode incertain : "Le Quai d'Orsay sera en tête des priorités budgétaires l'an prochain", leur assure-t-il. Avant d'esquisser un début d'autocritique, sur le thème : "Mon attention a été un peu monopolisée lors de loi de finances par les crises en Irak et en Côte d'Ivoire."
Apparemment, le ministre a zappé sur une autre crise, celle qui a opposé un certain Raffarin à la Commission de Bruxelles sur les critères dits de convergence... Toujours l'appel du large.
Nicolas Beau