GREVE DU 1er DECEMBRE 2003 - REVUE DE PRESSE
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La première grève des diplomates français
Le réseau diplomatique et consulaire français, le deuxième après celui des États-Unis, a été touché hier par une grève mondiale contre des restrictions budgétaires. Le mouvement a été bien suivi dans les ambassades et consulats à l'étranger. Même certains ambassadeurs se sont joints au débrayage. Cependant, beaucoup de diplomates grévistes avaient adopté un comportement «à la japonaise» en se déclarant grévistes tout en travaillant, afin d'assurer la continuité de l'action extérieure de l'État. A côté des chancelleries et consulats, dont certains ont dû être fermés pour la journée, les lycées français et centres culturels français ont été affectés dans des proportions diverses.
Luc de Barochez [02 décembre 2003]
La diplomatie française, qui se plaint de manquer d'argent, cherche à en économiser en renforçant sa coopération avec certains pays de l'UE, en premier lieu l'Allemagne. L'objectif est d'offrir dans certains pays des services communs, consulaires ou culturels, et pourquoi pas de fonder un jour une première ambassade commune. Mais les obstacles, qui touchent à la souveraineté du pays et aux principes de la République, sont nombreux.
La France aura dépensé cette année plus de 4 milliards d'euros pour sa diplomatie, l'Allemagne 2,23 milliards d'euros. Les deux chiffres ne sont pas comparables, car les budgets pris en compte ne sont pas exactement les mêmes. Mais une mise en commun de certains services permettrait, à l'évidence, de rationaliser les dépenses. «Pour faire des économies, il faudrait réfléchir à une collaboration plus étroite avec nos partenaires, par exemple les Français», soulignait hier à Berlin le député social-démocrate Lothar Mark, rapporteur du budget des Affaires étrangères. A Paris, des réflexions similaires sont en cours.
En 1988, à l'époque de François Mitterrand et Helmut Kohl, l'idée de créer une ambassade commune en Mongolie, un pays qui n'est stratégique ni pour la France ni pour l'Allemagne, avait échoué. A Paris, le Conseil d'État avait bloqué le projet en invoquant les principes généraux du droit public. Seuls des Français pouvaient exercer le métier d'ambassadeur, une fonction dite «d'autorité». Il faudrait donc modifier la législation, et sans doute aussi la Constitution. En Allemagne aussi un amendement de la législation semble inéluctable.
Paris et Berlin ont choisi entre-temps une voie plus pragmatique, fondée sur le partage de locaux, ce qui permet de diminuer les coûts du poste immobilier et logistique. Ainsi au Malawi, le chargé d'affaires français à Lilongwe travaille depuis janvier 2003 dans les locaux de l'Ambassade d'Allemagne. L'inverse fut vrai jusqu'à récemment à Praia au Cap-Vert. A Banja Luka, auprès des Serbes de Bosnie, ou à Podgorica, au Monténégro, des bureaux de représentation communs franco-allemands ont été créés, depuis respectivement 1998 et 2003.
Dans le domaine culturel, la coopération avance. A Palerme en Sicile, le Centre culturel français et l'Institut Goethe partagent le même bâtiment. C'est le cas aussi à Santa Cruz en Bolivie entre l'Alliance française et l'Institut Goethe.
Des projets communs existent à Moscou, Glasgow, Kaboul, Téhéran, Bakou, Yokohama. En ce qui concerne les services consulaires, une circulaire datant de l'an dernier encourage les postes à développer l'utilisation commune de locaux. Lors des célébrations du 40e anniversaire de l'amitié franco-allemande, en janvier 2003, Paris et Berlin ont décidé d'aller beaucoup plus loin, en relançant l'idée d'ambassades communes. Ces réflexions n'ont pas encore trouvé de traduction concrète. La coopération diplomatique vise non seulement à économiser des deniers, mais aussi à accroître l'efficacité et le poids des actions extérieures de la France et de l'Allemagne et, au-delà, à préfigurer une politique étrangère commune européenne.
Le projet de Constitution préparé par la Convention européenne de Valéry Giscard d'Estaing prévoit la création d'un service diplomatique commun pour épauler le nouveau ministre européen des Affaires étrangères. Si l'on cumule les effectifs diplomatiques des vingt-cinq pays membres de l'Europe élargie, ce sont aujourd'hui plus de 45 000 diplomates européens qui sont déployés dans le monde, selon une estimation du haut représentant européen, Javier Solana. Une unification de leurs activités supposerait une forte volonté politique.
PAR BRUNO DELAMOTTE * [02 décembre 2003]
La misère de notre politique étrangère est tout sauf une maladie diplomatique. Au contraire, elle pourrait bien être incurable. Et ce mal qui frappe la France menace notre stature internationale. La grève de nos diplomates, hier, qui a vu pour la première fois des ambassades fermer et des ambassadeurs ou directeurs d'administration centrale se joindre au mouvement, est la preuve que le malaise est bien plus profond que le simple conflit salarial.
Tout d'abord, la misère qui frappe notre politique étrangère n'est pas celle de nos diplomates : ils sont parmi les mieux payés au monde. Un départ «en poste», consulat ou ambassade, au travers d'un système d'«indemnité de résidence» permet, dans les cas les plus avantageux, de multiplier un salaire par un facteur cinq. Certes, c'est fonction du risque, de l'éloignement, de l'histoire, etc. Mais force est de constater que c'est très loin des pratiques traditionnelles des grands groupes présents à l'export. Sans compter que nos diplomates bénéficient d'une fiscalité pour le moins avantageuse puisqu'une part non négligeable des rémunérations n'est pas soumise à l'impôt sur le revenu et que les allocations familiales – calculées sur la rémunération – sont bien plus importantes : un enfant peut «rapporter» 1 000 € par mois.
Ce n'est pas pour autant une «simple» grève de nantis : les rémunérations très élevées que connaissent les diplomates en poste n'ont d'égal que la faiblesse des salaires perçus par les mêmes fonctionnaires lorsqu'ils sont en poste au Département (comprenez au ministère). Un système de primes dites «de centrale» est envisagé mais il demeure profondément déséquilibré au profit du sommet de la hiérarchie et ne fera sans doute qu'accroître les inégalités. Situation difficilement supportable dans un ministère qui ressemble de plus en plus à l'armée mexicaine tant l'effectif de l'encadrement, de la «conception», est élevé au regard des corps dits d'exécution.
Même si la réduction annoncée de ces «indemnités de résidence» et autres «primes de centrale» est sans doute la goutte d'eau qui fait déborder le vase de la contestation, les racines du mal sont bien plus profondes que cela. C'est une crise de confiance liée tant à une réforme désormais engagée depuis près de dix ans et dont les agents ne voient pas l'issue qu'à d'incessantes rumeurs sur les projets de réorganisation. Sans parler des dotations de fonctionnement qui ne cessent de se réduire, provoquant un mécontentement croissant de la part de fonctionnaires qui ont l'impression de ne pas avoir les moyens d'accomplir leur mission, d'être dans l'incapacité de transformer en acte les paroles d'un ministre présent sur tous les fronts.
La carte diplomatique et consulaire française est la plus dense au monde, derrière celle des Américains : la belle affaire ! Il serait bon de savoir le nombre de postes, survivances d'un passé révolu qui voulait que nos communautés expatriées soient à moins d'une journée de cheval du consul et de son équipe. C'était bon au XIXe siècle. Aujourd'hui que la planète est bornée, et que la mondialisation avance – sans parler de la construction européenne –, que penser des ouvertures de postes, sans que le fond même de la carte ne soit remis en cause. A l'heure de la citoyenneté européenne, a-t-on besoin d'un tel réseau consulaire en Europe ?
Il y a aussi la multiplication des ambassades du fait des postes multilatéraux qui sont venus se surajouter aux postes bilatéraux. Ainsi, à Vienne, on compte trois ambassades, donc trois «excellences», trois chancelleries et trois équipes de fonctionnaires ! On pourrait aussi s'interroger sur la portée réelle de ces représentations auprès de l'Unesco (à Paris), du Conseil de l'Europe (à Strasbourg) ou de la FAO, à Rome, distincte de celle auprès des autorités italiennes. Et que dire de ces ex-ambassadeurs, et autres fonctionnaires «ambassadeurisables», qui sont hébergés au-dessus du centre de Conférences internationales de l'avenue Kléber dans l'attente d'une affectation ? Ils sont le plus souvent «chargés de mission» et consacrent le plus clair de leur énergie au suivi des travaux préparatoires de telle ou telle rencontre internationale forcé ment stratégique... Ce n'est pas leur utilité qui est mi se en cause mais bel et bien les moyens qui leur sont dévolus au moment où la sortie de la guerre froide provoque l'apparition de nouveaux besoins, de nouvelles exigences. Et où la démocratisation du transport aérien et l'explosion des nouvelles technologies font que les communications sont toujours plus faciles.
Hors de l'Union européenne, ou plutôt de l'OCDE pour être plus juste, la situation est différente : la densité des postes est moins élevée mais nombre d'implantations ne se justifient plus, voire n'ont jamais été justifiées. C'est le cas en Afrique australe ou en Amérique centrale où l'on pourrait créer des postes régionaux avec un ambassadeur accrédité dans plusieurs pays. Un tel choix permettrait aussi de mettre un terme au sous-effectif chronique qui fait que de plus en plus souvent la présence d'un poste diplomatique ou consulaire suscite plus de frustration que de satisfaction. En effet, alors que le nombre de postes ne cesse de croître, les effectifs ont été réduits de près de 3 000 personnes au cours de la décennie écoulée.
Alors que la disette budgétaire menace, un autre chantier, livré à la réflexion depuis longtemps, mériterait d'être tranché : celui des gardes d'ambassade ! Près de 600 fonctionnaires (policiers et gendarmes), dont le coût unitaire annuel avoisine les 100 000 €. S'il est compréhensible, pour ne pas dire souhaitable, que nos diplomates soient protégés par des spécialistes aguerris en Afghanistan, en Irak, au Zimbabwe ou en Colombie, ce n'est pas le cas partout. Est-il bien utile de conserver trois gendarmes expatriés dans une ambassade européenne où ils pourraient aisément être remplacés par des vigiles locaux pour un coût bien moindre ? Les fonds ainsi économisés pourraient éviter, par exemple, que tel véhicule blindé indispensable dans une ambassade d'Asie du Sud ne dorme dans un parking du ministère à Paris faute de moyens pour payer aux armées son convoyage aérien. Ils pourraient permettre aussi que les services concernés par l'aide aux Français résidant à l'étranger soient dotés, en ces temps de violence politique, de budgets permettant une action structurée et non le saupoudrage actuel qui est tout sauf efficace (0,5 € de budget par expatrié).
Les agents des Affaires étrangères sont conscients qu'une modernisation de leur ministère est inévitable. Ce n'est pas pour s'y opposer qu'ils font grève mais plutôt pour qu'une fois pour toutes l'administration tranche dans le vif, prenne les décisions qui s'imposent et non continue à aller de replâtrages en réformettes qui ne font que rendre plus difficile le fonctionnement quotidien d'une administration qui est l'image de la France sur la scène internationale.
* Expert en intelligence économique. Dernier livre paru : Le Grand Bazar (avec Bernard Brigouleix), aux éditions Michalon.
Olivier Pognon [02 décembre 2003]
Pendant que le personnel des Affaires étrangères faisait grève, le Sénat examinait hier le budget du Quai d'Orsay. Et «l'impécuniosité» des chancelleries a été déplorée par la plupart des orateurs. Ils ont certes jugé normal, comme André Dulait (UMP), président de la commission des Affaires étrangères, que «la rigueur» s'applique aux crédits de ce ministère comme aux autres. Mais ses conséquences sont devenues trop graves, selon eux, car elle touche à l'image de la France à l'étranger. Le budget des Affaires étrangères pour 2004 augmente de 2,52%, mais cette progression s'explique par l'augmentation importante de l'aide publique au développement et à la francophonie, tandis que les crédits de fonctionnement et d'investissement sont en baisse. En outre, fort de l'expérience de l'exercice 2003, Jacques Chaumont (UMP Sarthe), rapporteur spécial de la commission des finances, a parlé de «budget surréaliste» qui, «aussitôt voté», sera «régulé, mis en pièces». En effet, a-t-il souligné, le gel des crédits décidé cette année a amputé les crédits votés de 284 millions d'euros. «D'où l'embarras des agents qui ne peuvent plus payer les travaux réalisés par des entrepreneurs ou doivent annuler les actions prévues.» Le mouvement actuel, selon le rapporteur, témoigne des difficultés ainsi vécues sur place par nos diplomates.
Stéphane Kovacs [02 décembre 2003]
Quel est le point commun entre Boutros Boutros-Ghali, Jodie Foster ou encore Ricardo Boffil ? Tous trois ont été élèves de lycées français à l'étranger. Avec 413 établissements répartis dans quelque 130 pays, accueillant 230 000 élèves, le réseau scolaire français est le premier du monde. Mais l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), qui en assure la gestion, fait actuellement l'objet de nombreuses critiques : manque de transparence, dépenses et frais de scolarité en forte augmentation – qui exclurait une partie de la population –, absence de politique à moyen et long termes. Inquiet de voir «cet extraordinaire réseau se scléroser», le Conseil économique et social vient de publier un rapport (1) proposant tout une série de mesures destinées à «assurer la pérennité» du système.
«Si la France souhaite maintenir son influence à l'échelle internationale, résume le rapporteur, Bernard Cariot, qui est aussi administrateur de l'Union des Français de l'étranger, il est impératif qu'elle procède à une importante adaptation de sa politique d'enseignement à l'étranger.» Compte tenu de la contrainte budgétaire, les réponses ne sauraient être purement financières : le Conseil recommande donc d'adapter le réseau à l'évolution internationale, et d'optimiser sa répartition territoriale.
La qualité de l'enseignement français à l'étranger (93,3% de taux de réussite au bac en 2002, soit 15 points au-dessus de celui de la France) ne suffit plus pour attirer les élèves étrangers : ils sont majoritaires (57% en 2001-2002), mais leur nombre tend à diminuer. «Il conviendrait de renforcer l'ouverture au pays d'accueil en développant l'enseignement de la langue locale, mais aussi en aménageant les programmes, comme cela se fait déjà en histoire géographie», note Bernard Cariot. Une réflexion s'impose également sur le diplôme délivré à l'issue du secondaire : «Le baccalauréat actuel demeure insuffisamment tourné vers l'international et ne permet pas l'accès à toutes les universités étrangères, constate le rapporteur. Un véritable bac international devrait s'inspirer de l'Abibac franco-allemand.» Il est enfin indispensable d'intensifier la coopération en matière d'échange d'enseignants : ceux-ci pourraient participer à la création de filières françaises dans les établissements étrangers, allégeant ainsi le réseau AEFE.
Quant aux établissements d'enseignement supérieur et aux universités, ils devraient adopter une stratégie plus offensive en matière d'accueil d'étudiants étrangers, à la manière des grandes écoles, préconise le Conseil.
«Il est impératif de redéployer notre réseau d'enseignement à l'étranger en fonction de nos intérêts stratégiques, politiques, économiques, commerciaux et culturels, affirme encore le rapporteur. Il faut également tenir compte de réseaux voisins tels que les Centres culturels ou les Alliances françaises». Des formules innovantes, en partenariat avec d'autres pays européens, mériteraient d'être encouragées. Comme par exemple l'«Eurocampus» de Manille, qui regroupe les écoles allemande, française et néerlandaise dans des bâtiments communs.
Le coût total de fonctionnement des établissements français à l'étranger se montait l'an dernier à 818 millions d'euros, dont 31% à la charge de l'État et 60,3% à la charge des familles. Pour le Conseil, il est urgent de dégager de nouveaux moyens financiers. Notamment en s'adressant aux entreprises, au pays d'accueil ou encore en recherchant les synergies possibles entre les établissements scolaires et les autres réseaux culturels.
(1) «Quel avenir pour l'enseignement français à l'étranger ?» Conseil économique et social octobre 2003