GREVE DU 1er DECEMBRE 2003 - REVUE DE PRESSE

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LE MONDE | 02.12.03

La grève au ministère des affaires étrangères a été très suivie, à l'étranger comme à Paris

Le mouvement a touché l'ensemble des représentations françaises sur les cinq continents. Les personnels ont le sentiment que tout le réseau est mis en péril par la rigueur budgétaire.

Toute la diplomatie française a été paralysée ou ralentie, lundi 1er décembre, par un mouvement de protestation contre les restrictions budgétaires. Pratiquement tous les postes, comme les services de l'administration centrale, ont été affectés par la grève et certains consulats sont restés fermés.

A Paris, 200 manifestants se sont rassemblés devant le Sénat où était examiné le budget 2004 du ministère des affaires étrangères. "Villepin sans moyens tu n'iras pas loin", scandaient les protestataires. Une banderole, signée par l'ensemble des syndicats du Quai d'Orsay, réclamait "des moyens financiers à la hauteur des ambitions affichées".

C'est la diminution du volume global des indemnités de résidence à l'étranger, qui a déclenché le mouvement. Mais la protestation va au-delà de la défense des intérêts catégoriels et individuels. Fait sans précédent : trois associations de hauts fonctionnaires, représentant des diplomates, qui dans l'ensemble ne se considèrent pas comme des cas sociaux, ont soutenu l'appel à la grève lancé par les syndicats. Les responsables d'instituts ou de centres culturels français à l'étranger multiplient, de leur côté, les cris d'alarme. Cet unanimisme reflète le sentiment que le réseau français d'action diplomatique, de coopération et d'action culturelle géré par le quai d'Orsay est aujourd'hui mis en péril par la rigueur budgétaire orchestrée par Bercy.

AIDE AU DÉVELOPPEMENT

Le budget des affaires étrangères, adopté par le Sénat lundi, représente 1,25 % du budget de l'État. Il augmente de 2,52 % en 2004, mais cette hausse est entièrement absorbée, et au-delà, par un accroissement de l'aide au développement, qui consiste pour une large partie en annulations de dettes pour les pays les plus démunis. Les crédits de fonctionnement sont en fait en diminution, c'est-à-dire que les capacités d'action du ministère, notamment dans le domaine de la coopération, sont de nouveau amputées. En outre, les suppressions de crédits en cours d'année ont atteint un niveau record en 2003 et ruiné le travail du réseau.

Le ministre Dominique de Villepin a déclaré, lundi, devant le Sénat que les agents qui ont cessé le travail "doivent être pris au sérieux". S'adressant au personnel du quai d'Orsay jeudi 27 novembre, il avait haussé le ton contre le ministère de l'économie, réclamant que la rigueur soit plus équitablement répartie entre les différentes administrations et déclarant que les efforts consentis par son ministère l'étaient "pour solde de tout compte". Il avait indiqué toutefois vouloir poursuivre la "rationalisation" du réseau, une entreprise qui, estiment les protestataires, ne peut être menée bénéfiquement "si son unique objet est de faire des économies".

M. de Villepin a reconnu, lundi, que la grève avait été "très suivie" : selon lui, 50 % à l'étranger, un tiers à Paris, un quart à Nantes, où se trouve une antenne importante du ministère. Selon l'Union syndicale du ministère des affaires étrangères (USMAE), le mouvement a touché l'ensemble des représentations françaises sur les cinq continents. "Certains ambassadeurs sont en grève et le mouvement est suivi à 100 % à Montevideo, Madagascar, Athènes, Addis-Abeba, Cuba, Mexico, Quito, Tunis, Abidjan, Dakar, Zurich, Liège, Ho Chi Minh-Ville", a indiqué, dans la journée, le président de ce syndicat majoritaire au Quai d'Orsay, Laurent Serra. L'UNSA-Education (syndicat enseignant) a affirmé, quant à lui, que de 60 % à 90 % des enseignants français à l'étranger étaient en grève.

A Washington, la grande majorité des 57 diplomates de l'ambassade (la plus grosse représentation diplomatique française à l'étranger avec 400 personnes) ont observé le mouvement. La grève a aussi touché la mission diplomatique française à l'ONU (une quinzaine de personnes), ainsi que les consulats français aux États-Unis. Au Canada, une grosse majorité du personnel diplomatique a suivi le mouvement. Les consulats, sauf celui de Vancouver, sont restés fermés. Au Mali, le consulat était en grève à 100 % et l'ambassade à 50 %. En Mauritanie plus des trois quarts des personnels titulaires ont cessé le travail.

Dans plusieurs ambassades, comme celles de Tokyo, d'Alger ou de Zagreb, une forte proportion les diplomates se sont déclarés "en grève", tout en travaillant "afin d'assurer la continuité du service public".

Claire Tréan (avec AFP)

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.12.03  

Les syndicats du ministère des affaires étrangères appellent à la grève pour le 1er décembre

LE MONDE | 27.11.03 | 13h30

La diminution des indemnités de résidence, réclamée par Bercy, est "la goutte d'eau qui fait déborder le vase".

La grève ? Au Quai d'Orsay ? Et aussi dans les ambassades, les consulats ? L'idée surprend, tant elle cadre mal avec l'imagerie qui s'attache à cette maison. De fait, s'il y eut déjà des grèves, elles furent en général catégorielles, sectorielles. Cette fois tous les syndicats du ministère appellent tous les personnels, à Paris et à l'étranger, à cesser le travail le 1er décembre ; ils convoquent un rassemblement, à 16 heures lundi, devant le Sénat, où doit être discuté le budget des affaires étrangères.

La même expression revient chez les syndicalistes de toutes obédiences, rarement aussi unis : "Trop c'est trop." On perçoit une gêne chez les proches du ministre, chargés de présenter l'analyse officielle de la situation ; ils sont écartelés entre la fierté d'apparaître comme les bons élèves de la réforme de l'État, de la rationalisation, du dévouement à l'obligation de rigueur budgétaire, et leur appartenance à "la maison", leur sentiment manifeste de servir d'éternelle victime expiatoire à Bercy, leur conviction que le ministère des finances n'a toujours pas compris à quel gâchis disproportionné peut conduire son acharnement.

LYCÉES ET ALLIANCES FRANÇAISES

En dix ans, le ministère des affaires étrangères a perdu 10 % de ses effectifs. Sa part dans le budget de l'État sera de 1,25 % en 2004, ce qui est peu pour tenir son rang dans l'aide au développement, entretenir le deuxième réseau diplomatique, consulaire et culturel après celui des États-Unis, financer un réseau de lycées et d'alliances françaises très réputé dans le monde, acquitter les contributions à l'ONU et à ses agences, pourvoir à la réforme de l'asile en France, monter des actions humanitaires d'urgence, etc. Sans même parler des "extras" élyséens, jusqu'à ce séjour à Rome-Vatican de Bernadette Chirac et son abondante suite, et de la note de l'hôtel Hassler adressée au Quai d'Orsay.

Dans la présentation de son budget pour 2004, le ministère souligne la poursuite de son effort de réforme. Même à la CGT, on convient que "beaucoup de choses positives" ont été réalisées ces dernières années dans le sens de la modernisation et des gains de productivité. Mais il y a des limites au-delà desquelles la "rationalisation" devient tout simplement gestion de la pénurie.

Si l'on défalque l'augmentation de l'aide publique au développement - que nul ne conteste dans le principe, au contraire, mais qui n'est pour beaucoup que la traduction comptable d'annulations de dettes des pays pauvres -, le ministère voit ses moyens d'action diminuer pour 2004.

"Les personnels ont le sentiment que les efforts de rigueur ne sont pas partagés par les autres ministères présents à l'étranger", dit une voix officielle. Surtout, depuis plusieurs années, la régulation (les suppressions en cours d'année de crédits votés) frappe le ministère des affaires étrangères bien plus douloureusement que d'autres administrations, dont elle affecte surtout les projets d'investissements.

L'année 2003 fut de ce point de vue un véritable désastre. Les restrictions de crédits ont obligé à interrompre le service de la valise diplomatique, on en est arrivé à manquer de papier à l'administration centrale... Mais là n'est pas le plus grave. Dans un ministère qui investit peu, les suppressions de crédits frappent les programmations. Des centaines d'"agents", engagés sur des programmes de coopération au développement ou d'action culturelle, ont dû tout annuler du jour au lendemain, perdant dans cette Berezina à la fois leur crédibilité et leur moral.

Dans ce paysage dévasté, une goutte d'eau a fait déborder le vase ; un acharnement de trop du ministère des finances, qui a fait dérailler le processus de concertation interne instauré il y a quelques mois par Dominique de Villepin pour mener à bien la réforme. Il y a quelques semaines, Bercy a réclamé une baisse de 20 millions d'euros des indemnités de résidence à l'étranger. Le ministère a réussi à en récupérer 8 sur les 20, qu'il a décidé d'affecter à l'amélioration de la protection sociale des recrutés locaux à l'étranger (4,2 millions) et à une augmentation des primes aux personnels de l'administration centrale selon un taux uniforme de 11 % pour toutes les catégories (3,8 millions).

Tout à coup, ce fut trop, tous les mécontentements se coalisèrent : le découragement qu'engendrent les régulations répétées, les problèmes de logistique grotesques, la faible progression salariale, cette diminution de revenus pour les personnels en poste à l'étranger, cette répartition de primes à un taux uniforme "qui creuse les inégalités" à Paris, le fait que la réponse au dernier mauvais coup de Bercy ait été arrêtée sans concertation, que le ministre donne l'impression d'abandonner le dialogue qu'il avait engagé avec les syndicats et de vouloir poursuivre seul sa "stratégie de réforme".

"À LA HAUTEUR DES AMBITIONS"

Les syndicalistes soulignent qu'il ne s'agit pas seulement de primes et d'indemnités mais d'"un ensemble". Ils mettent en garde contre les suppressions de postes consulaires, d'instituts culturels, contre un "démantèlement" du réseau scolaire français à l'étranger, bref contre une prétendue "réforme" qui se poursuivrait sous une pression budgétaire beaucoup trop violente. Dans leur texte commun d'appel à la grève, ils réclament "des moyens humains et financiers à la hauteur des ambitions" affichées par la France sur la scène internationale.

Claire Tréan

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 28.11.03


LE MONDE | 27.11.03 | 13h30

Villepin a "bon espoir" que le budget du quai d'Orsay figure parmi les "prioritaires" l'an prochain

28/11/ 2003

Nulle volonté d'"imperium" solitaire, mais un simple souci de "mise en cohérence" : tel est, dit-on au Quai d'Orsay, le sens de la croisade que mène - discrètement mais activement - Dominique de Villepin. Son objectif ? Obtenir, autant que faire se peut, le contrôle et la maîtrise de l'action extérieure de la France, dont les crédits sont actuellement dispersés au sein de quinze ministères.

Le ministre des affaires étrangères a récemment reçu un soutien de poids. Manifestant son agacement devant les dépenses excessives de certains autres ministères, Jacques Chirac aurait en effet déploré, lors du conseil des ministres du 25 septembre, la multiplication de leurs antennes et services à l'étranger (Le Monde du 27 septembre).

Quelques chiffres résument l'importance de l'enjeu : le ministère des affaires étrangères ne disposait, dans la loi de finances pour 2003, que de 46 % des crédits et 66 % des effectifs concourant à l'action extérieure de l'Etat, le reste étant réparti entre d'autres administrations, comme le montre un document chiffré annexé au projet de loi de finance pour 2003.

Cette dispersion, qui n'est pas nouvelle, peut se justifier par les effets de la mondialisation. "Personne ne peut vivre coupé du reste du monde", notait en novembre 2002 le député UMP de l'Oise Eric Woerth, rapporteur spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur le budget des affaires étrangères. Tout en soulignant que cette dispersion conduisait parfois à des "incohérences", M. Woerth notait dans son rapport : "Le ministère de l'intérieur ne peut lutter contre l'immigration clandestine sans l'aide des services des visas, le ministère de la santé doit tenir compte des orientations définies à l'Organisation mondiale de la santé, le ministère de la recherche accueille des étudiants étrangers et accompagne les voyages d'étude des Français, celui de l'environnement est lié par des engagements internationaux."

D'autres raisons, plus prosaïques, contribuent à la perpétuation de cette situation. Le prestige et le salaire attribués à certains postes à l'étranger en font autant de "bâtons de maréchaux" que les ministères jugent fort utiles en période de disette, regrette-t-on à mi-voix au Quai d'Orsay.

C'est - officiellement - aux incohérences engendrées par cette situation que M. de Villepin entend remédier. Des personnels aux statuts différents, des locaux épars, des systèmes informatiques incompatibles : les exemples de dysfonctionnements seraient monnaie courante, qui mineraient l'autorité des ambassadeurs. Et, par là même, celle du ministre des affaires étrangères.

L'OFFENSIVE DE 1993

Une première offensive avait été conduite au Quai d'Orsay en 1993, sous le gouvernement Balladur. Chef de la diplomatie, Alain Juppé avait pour directeur de cabinet... M. de Villepin. Tous deux ont alors obtenu la création d'un comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger (Ciméé). La résistance des ministres concernés et de leurs administrations, peu enclins à accorder au Quai d'Orsay un droit de regard sur leurs programmes à l'étranger, a eu raison de cette structure, qui n'est devenue qu'un simple outil statistique.

Un rapprochement s'est certes opéré, depuis, entre le ministère des affaires étrangères et Bercy. Mais on est encore très loin de la coordination interministérielle envisagée par MM. Juppé et de Villepin. Encore aujourd'hui, seuls les investissements immobiliers hors de nos frontières seraient l'objet d'un contrôle a priori ; tout projet en la matière devant recevoir l'avis conforme de la commission interministérielle des biens de l'État à l'étranger, présidée par un magistrat de la Cour des comptes.

Une fois nommé au Quai d'Orsay, M. de Villepin a donc remis son ouvrage sur le métier. "Le ministère des affaires étrangères doit devenir le centre de coordination, d'impulsion et de synthèse de l'action extérieure de l'État. (...) Nous devons affirmer une authentique unité d'action", proclamait-il le 27 août 2002, en ouverture de la 10e conférence des ambassadeurs. Un an plus tard, dans la même enceinte, le ministre exprimait une volonté identique : "Notre but doit être de rendre à notre ministère la responsabilité de fixer le cap de l'action de la France à l'extérieur de nos frontières."

Plus facile à dire qu'à faire... En coulisses, la partie s'annonce en effet serrée. Les règles du jeu ont été fixées lors de l'adoption de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, qui doit entrer en application en 2006.

Cette réforme de la procédure budgétaire, qui avait été votée par la droite et la gauche, invite les ministères à structurer leur budget non plus par nature de crédits, mais par grandes missions. Le souhait de M. de Villepin est que l'une d'entre elles regroupe l'ensemble des crédits concourant à l'action extérieure de l'État.

On précise prudemment, au Quai d'Orsay, que, même si cette hypothèse est retenue, les ministres concernés ne seront pas dépossédés de leurs crédits. De même source, on doute toutefois de la bonne volonté de ces éventuels partenaires : "Chaque ministère va promouvoir une approche verticale, alors que notre logique est complètement horizontale", explique un conseiller de M. de Villepin, en envisageant le pire : "Si on laisse faire, on torpille complètement la logique du ministère des affaires étrangères." Faute d'ancrage budgétaire solide, l'autorité politique du ministre pourrait être remise en cause. Cette perspective n'étant pas vraiment de son goût, M. de Villepin s'active. L'intervention du chef de l'État en témoigne.

HYPOTHÉTIQUES DIVIDENDES

Le président aurait affirmé qu'il y a dans la réorganisation de l'action extérieure une source importante d'économies pour l'État. Le ministre des affaires étrangères sait toutefois que, avant d'engranger d'hypothétiques dividendes lors des arbitrages sur la LOLF, il lui faudra montrer l'exemple. "Il nous revient de porter un projet exemplaire dans le sens de la réforme de l'État", affirmait-il dès le mois d'août 2002. Le comité de pilotage de cette réforme poursuit ses travaux au Quai d'Orsay autour de plusieurs objectifs, parmi lesquels une rationalisation du réseau diplomatique et une évaluation des chefs de poste.

En attendant que ce travail interne porte ses fruits - et soit accepté par les syndicats -, le ministère des affaires étrangères prend soin de ne pas heurter ses homologues concernés par l'action extérieure de la France. Le mot d'ordre en la matière semble être d'agir à partir du terrain. Loin des querelles qui menacent au sommet. Et loin de tout clivage partisan, comme en témoigne le déplacement de M. Woerth, les 21 et 22 octobre à Madrid. A cette occasion, le député UMP a tenté d'évaluer les efforts d'organisation entrepris par l'ambassadeur en poste dans la capitale espagnole... qui n'est autre qu'Olivier Schrameck, ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin à Matignon.

Jean-Baptiste de Montvalon


Le ministère de l'économie, deuxième acteur

Un document annexé au projet de loi de finances pour 2003 a chiffré la répartition, ministère par ministère, de tous les crédits affectés à l'action extérieure de la France. Cette brochure, seul travail récapitulatif sur le sujet, n'a qu'une valeur informative et indicative. Derrière le ministère des affaires étrangères, arrive en deuxième position le ministère de l'économie et des finances, via notamment les agences financières de la direction du Trésor, les postes d'expansion économique à l'étranger de la direction des relations économiques extérieures (DREE) et les attachés douaniers et fiscaux.

Le ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche contrôle également une part substantielle des crédits de l'action extérieure. Assez loin derrière, on trouve le ministère de la défense, onze autres ministères se partageant moins de 10 % des crédits affectés à l'action extérieure.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 28.11.03