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Francophonie
Les conditions budgétaires de plus en plus contraignantes menacent le réseau
de centres culturels et d'Alliances françaises dans le monde.
[21 décembre 2005]
SUR LE FRONT de la politique culturelle extérieure, l'heure est aux révisions déchirantes. Face à la mondialisation et à l'hyperpuissance américaine, la France peut-elle maintenir en l'état ses grandes ambitions d'influence et les outils de son rayonnement dans le monde ? Vastes enjeux. Sur la diversité culturelle, Paris est en pointe. Mais ses armes financières sont limitées. L'équation prend des allures de casse-tête, notamment pour le Quai d'Orsay qui doit gérer, dans des conditions budgétaires de plus en plus contraignantes, les instruments de cette politique : un important réseau de 153 centres culturels et de 220 Alliances françaises liées aux ambassades. Soit, en termes d'effectifs, 542 agents expatriés dans 96 pays, 6 000 recrutés locaux (328 agents dans les Alliances) pour un coût de fonctionnement dépassant les 44 millions d'euros.
De Vienne (lire ci-dessous) à Hanoi mais aussi dans bien d'autres capitales, le «redéploiement» et la «réorganisation» du réseau suscite craintes et turbulences dans les communautés d'expatriés. «Ces centres sont des outils d'influence grâce auxquels on touche et on renouvelle le public francophile, il ne s'agit en aucun cas de s'en débarrasser mais il faut les moderniser», explique-t-on au ministère des Affaires étrangères. Avec un souci manifeste de calmer le jeu, on y fait valoir la nécessité d'utiliser au mieux les deniers publics, compte tenu de contextes locaux particuliers. On invoque aussi l'impératif du redéploiement géographique qui détermine les priorités : en Algérie, par exemple, où la situation s'est normalisée après les années de guerre civile, en Chine «émergente», désormais terrain incontournable pour la coopération... Mais, au total, les crédits de coopération avec les pays développés baisseront d'environ 5% en 2006.
C'est en Europe, là où il est le plus dense, que le «réseau» français est soumis à la pression la plus forte. Dans de nombreuses villes du Vieux Continent pétries de traditions et d'histoire, où les intelligentsias entretiennent avec la France des liens séculaires, il n'y plus guère de situations acquises. Locaux somptuaires, faibles effectifs étudiants (parfois moins de 300 par an), médiathèques désertées (souvent moins d'une centaine d'inscriptions), les coûts de fonctionnement sont dans certains cas disproportionnés par rapport à l'activité. D'où des fermetures en rafale : Kiel, Heidelberg, Erlangen, Karlsruhe et Bonn en 2001, Sarrebruck en 2002, Porto et Graz en 2004, Gand et Gênes cette année.
Les autres sont fortement incités à s'autofinancer, en diminuant leurs coûts de structure, en nouant des partenariats avec les entreprises où en équilibrant financièrement leurs cours de langue. Cette variable d'ajustement peut se révéler lucrative. A Hanoi, les tarifs des cours pour les 5 000 étudiants qui fréquentent annuellement le Centre culturel pourraient être prochainement revus à la hausse de 25 %. A Vienne, les programmes vont être ciblés à destination de clients rémunérateurs comme les entreprises. «Là où notre réseau est confronté à la concurrence d'une offre particulièrement fournie (universités, instituts divers...), il faut nous réorienter vers des publics spécifiques, comme les professeurs de français, les étudiants avancés, les utilisateurs du français technique, la formation permanente...», explique-t-on au Quai d'Orsay où l'on affirme également que lorsqu'une fermeture est envisagée, on s'efforce de mettre en place des solutions de substitution. Autre piste, celle des colocalisations qui permettent des économies substantielles. C'est ainsi que Français et Allemands ont mis en place des établissements culturels conjoints à Ramallah, Glasgow, Luxembourg, Palerme, Santa Cruz et Lahore. Pour conserver son poids culturel et même espérer l'étendre, Paris ne peut plus jouer en solo mais doit désormais compter sur ses partenaires européens.
Alain Barluet