Le français lutte pour garder sa place dans le monde

Des financements d'État dispersés

Extrait d'un article paru dans l'édition du 27.04.06

Six actions financières, quatre programmes et trois missions nourrissent la francophonie

Défendre la francophonie, ce n'est pas « défendre la baguette et le camembert contre le beefsteak et le football», disent les sénateurs Jacques Legendre (UMP) et David Assouline (PS), rapporteurs pour avis de la loi de finances 2006. A ceux qui critiquent la défense de la francophonie « au nom de la modernité », Jacques Legendre oppose les propos de l'ancien secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros-Ghali : « L'usage d'une langue signe un rapport de forces. »

Car, ajoute le sénateur UMP, « il y a de vrais enjeux, comme par exemple la bataille autour de l'Office européen des brevets qui, pour l'instant, sont rédigés en trois langues. Si on impose l'anglais comme langue unique, les entreprises françaises devront recruter des ingénieurs anglophones. On créera ainsi des rapports d'inégalité entre les salariés. Il ne s'agit donc pas seulement de Racine et de Molière mais de défendre des intérêts économiques ».

L'enthousiasme francophone de Jacques Legendre ne lui cache pas les difficultés et sans doute un manque d'agressivité dans la conquête et le maintien des espaces francophones. « Par exemple, nous avons une politique vertueuse qui considère qu'il ne faut pas empêcher le développement des universités locales. Nos amis canadiens ou américains n'ont pas cette ambition, ce qui leur permet de récupérer les meilleurs en leur offrant des bourses. On va ainsi retrouver une partie de l'élite africaine, qui parle français, à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire international (FMI). »

Chargé par la commission des affaires culturelles du Sénat d'examiner le fonctionnement du réseau d'action culturelle, David Assouline défend l'héritage politique de la langue française et les valeurs qu'elle incarne « comme la laïcité. Avec la mondialisation, insiste-t-il, l'enjeu culturel doit s'imposer, sinon, ce n'est pas seulement la France, mais l'humanité toute entière qui y perdra ». La France développe pour ce faire une politique pérenne, mais les moyens sont-ils à la hauteur de l'ambition ?

Faute de ministère spécifique de la francophonie - cette dernière est rattachée au ministère de la coopération et du développement - les cartes sont brouillées. « Ce n'est pas le même métier et ce ne sont pas les mêmes lignes budgétaires. Le ministre a trop à faire, et ses priorités sont ailleurs », commente Jacques Legendre.

Sans aller aussi loin, David Assouline pense qu'il faudrait au moins une mission interministérielle pour assurer une action cohérente, alors que la loi de finances a conduit à une « dissémination kafkaïenne qui rend illisible le sens de cette action. »

Ainsi, le budget répartit ces crédits « entre au moins six actions financières rattachées à quatre programmes différents relevant eux mêmes de trois missions distinctes ». La seule façon d'y voir un peu plus clair est de se reporter à une annexe budgétaire qui livre un chiffre global des crédits dépensés pour promouvoir la langue et la culture française : 863 millions d'euros - soit une baisse de 2 % par rapport à 2005 (881 millions d'euros) .

L'une des difficultés est que tout dépend de l'administration centrale et plus directement de la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), qui néglige son rôle stratégique ou de contrôle pour se contenter de gérer.

En outre, c'est le ministère des affaires étrangères qui contribue principalement à la francophonie, à hauteur de 787,30 millions d'euros et loin derrière celui de la culture pour 7,80 millions suivi par le ministère de l'éducation et et le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, chacun pour 3,20 millions d'euros. Il faut y ajouter 65,70 millions d'euros en provenance des comptes spéciaux du Trésor.

COQUILLES VIDES

Bras armés de la francophonie, les réseaux d'Alliances françaises, de centres culturels et d'instituts français sont en panne, selon le sénateur socialiste. « Il faudrait rationaliser et moderniser. Seulement, il n'y a pas eu de réflexion de fond, donc on traite l'existant au coup par coup sans logique politique. » La réduction de leurs crédits de fonctionnement et d'intervention risquent de les transformer en « coquilles vides, incapables d'assurer la diffusion de la culture française à l'étranger en dépit de la passion qui anime leur personnel ». En outre, ce réseau bien qu'important (quelque 150 centres ou instituts et 250 Alliances françaises) reflète les priorités des années 1960, l'immense majorité des centres culturels étant situés en Europe et en Afrique. Quelques efforts ont été faits pour s'ouvrir à l'Asie ou vers le continent américain, mais cela s'est traduit faute de moyens par des regroupements de centres existants ou des fermetures, entraînant des polémiques. Il y a eu aussi quelques « colocalisations franco-allemandes. »

M. Assouline se réjouit toutefois des bons résultats de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger. Ce réseau d'établissements accueille plus de 168 000 élèves, dont 88 000 étrangers, et a un rôle déterminant.

Parallèlement, l'action culturelle internationale est dotée de 20 millions d'euros, dont 19 millions financent les organismes chargés de la diffusion de la culture française dans le monde, tels l'Association française d'action artistique (AFAA), le Théâtre international de la langue française ou l'Agence internationale de la francophonie (AIF).

Y sont incluses également les structures chargées de la diffusion des cultures étrangères en France ou la participation à des programmes européens comme Eurimages. S'y ajoute l'action Patrimoine linguistique et plus particulièrement la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), qui dispose d'un budget de 3, 4 millions d'euros.

L'essentiel des moyens mis par le ministère des affaires étrangères sont attribués à la coopération avec les pays bénéficiant de l'aide publique au développement. Y sont rattachés les crédits destinés à la francophonie multilatérale, soit 58,4 millions d'euros, dont 45,2 millions pour le Fonds multilatéral unique (FMU), qui regroupe les différentes contributions des pays membres de la Francophonie et 11,94 millions de contributions obligatoires à l'AIF.

Ces crédits ne représentent toutefois qu'une faible partie de l'ensemble des moyens financiers rattachés à cette action par les différents pays, d'un montant total de 1,1 milliard d'euros destinés en grande majorité aux programmes de développement économique et social.

Martine Silber