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François Chérèque invité de RTL le 22 mai 2008


Jean-Michel Aphatie :
Bonjour, François Chérèque.

François Chérèque :
Bonjour.

Vous participerez tout à l'heure aux manifestations de protestations contre la réforme des retraites qui prévoit d'allonger la durée des cotisations. Dans une interview, la semaine dernière, au journal "Le Monde", Bernard Thibault, patron de la CGT, disait ceci : "Nous avons la prétention de faire reculer le gouvernement". Partagez-vous cette prétention, François Chérèque ?

Si nous manifestons, aujourd'hui, c'est que nous voulons que le gouvernement change ses propositions et change ce complément de réformes qui avait déjà été augmenté en 2003.

Mais vous avez peu d'espoir parce que François Fillon le disait encore, hier : "Voilà, c'est décidé, c'est fait. On va passer à autre chose".

Oui, mais le problème c'est que j'ai fait la liste des sujets qui ne sont pas abordés par la réforme du gouvernement. Ils sont importants. On a un désaccord sur le moment de passer à 41 ans ; et non pas, comme vous le disiez tout à l'heure, une opposition au passage à 41 ans. On veut le différer du fait du mauvais niveau d'emploi des seniors. Donc, on souhaite que le gouvernement tienne compte de l'emploi des Seniors et diffère en fonction de cette évolution-là. Le gouvernement ne dit rien sur le problème de la pénibilité au travail. C'était une des conditions qui avait été abordée à la réforme de 2003. C'est un amendement de M. Bertrand au débat parlementaire.

M. Bertrand ? Monsieur Xavier Bertrand ?

Xavier Bertrand, oui. C'était lui qui avait fait un amendement en tant que député en disant : il y a une négociation sur la pénibilité et on verra l'augmentation de la durée de cotisations en fonction de la pénibilité au travail et de l'espérance de vie. Il ne dit rien.
   
Il ne dit rien non plus sur le niveau des pensions. Il ne dit rien non plus sur le fond de réserve. Comment on alimente le fond de réserve ? Il ne dit rien sur les polypensionnés. C'était une promesse qu'il avait faite dans les régimes spéciaux, aux cheminots, à la RATP, pour ceux qui ont travaillé dans le privé, dans le public.

Ça, c'était François Fillon qui était votre interlocuteur...

Non, non, non, c'est M. Bertrand qui avait dit ça, au mois de novembre.

Ça, c'est M. Bertrand, ça ?

Non, il a dit beaucoup de choses monsieur Bertrand. Mais il n'a pas fait grand chose derrière, c'est ça le problème. C'est qu'il avait fait une promesse aux cheminots en disant : on tiendra compte des carrières de ceux qui ont travaillé dans le public et dans le privé. Il ne dit rien dans cette réforme. Il ne dit rien à la retraite à la carte. C'était une promesse de M. Sarkozy, c'est-à-dire la 41e année : est-ce qu'on peut la faire sur deux ans à mi-temps, par exemple ? Donner du choix. Il ne dit rien sur la taxation des stock options.

Donc, vous voyez bien que le gouvernement a bâclé - et si je l'ai dit - cette réforme, c'est-à-dire qu'il faut qu'il revienne sur tous ces sujets qui font "un tout".

Il a bâclé ? Ou il manque à sa parole ?

Il manque à sa parole au moins sur le problème des polypensionnés. Il ne dit rien sur le problème de la pénibilité. C'était un engagement. Mais surtout je pense que vous avez vu la liste des sujets qui ne sont pas abordés. Je me pose la question : mais pourquoi faire si peu alors qu'on avait tant d'ambition quand on était candidat ou qu'on soutenait un candidat aux Présidentielles.

Il faudra beaucoup de monde dans la rue sans doute pour faire changer le gouvernement d'avis, d'attitude et d'après ce que disait Christophe, tout à l'heure, par exemple, la circulation est normale. La RATP - Métro, c'est normal. Ca présage peut-être d'une grève qui sera un échec, François Chérèque ?

Non... D'abord, ce n'était pas une journée particulièrement de grève. Il y avait des appels dans les transports. Mais l'objectif : ce n'était pas de bloquer le pays. L'objectif, aujourd'hui, c'est d'amener des personnes dans la rue pour pouvoir exprimer toutes ces demandes sur tous ces sujets-là ; et je le dis bien : ces sujets sont nombreux. Donc, on voit bien qu'on a beaucoup d'espaces de discussions. Mais hier, j'étais par exemple à Saint-Etienne avec les métallos CFDT. Ils étaient très remontés parce que dans ces métiers-là, on a des personnes qui ont commencé à travailler jeunes, qui ont eu des emplois pénibles, et leur dire aujourd'hui - alors, qu'ils sont exclus souvent du travail avant 60 ans - leur dire aujourd'hui : "Il va falloir travailler plus". Ils savent que ça sera ou du chômage, ou de la pénibilité au travail. Donc, on voit bien qu'on a des solutions, des réponses à apporter et que le gouvernement doit revoir ses propositions.

Mais je disais : faible mobilisation peut-être.

Non faible mobilisation, je ne suis pas sûr.

Alors, qu'est-ce qui va se passer après ? Une fois que la manifestation aura lieu, après qu'est-ce que vous allez faire ?

Moi, j'attends que le ministre... Alors qu'il n'avait même pas prévu de nous revoir. J'attends que le ministre nous revoie et nous fasse ses propositions sur tous ces sujets-là. Vous avez vu la liste des sujets abordés. Je pense qu'on est loin de rentrer vraiment dans une réelle réforme de fond.

Il y a un an, vous avez un dialogue simple et direct avec le président de la République. Vous en êtes où aujourd'hui dans ce dialogue avec lui ?

Ca fait un moment que je ne l'ai pas rencontré puisqu'on rend publiques toutes nos rencontres ; mais il me semble que ce dialogue se fait avec les ministres, aujourd'hui.

Ce n'est plus avec le Président ?

Pas dans ces temps derniers. Mais bon, je pense le Président, il faut toujours attendre qu'il nous demande une rencontre sur les sujets importants.

Vous le regrettez ?

Ah non !

Vous pensez qu'il pourrait faire quelque chose pour vous ?

Eh bien écoutez, je pense que le président de la République doit laisser son gouvernement travailler. C'est comme ça qu'on fonctionne habituellement. Mais là on voit bien en tant que candidat, il a fait tout un tas de promesses. Je pense en particulier sur le niveau des pensions. Il nous a dit : on va augmenter les personnes qui sont en voie d'exclusion, c'est-à-dire...

Le minimum de retraite à 25 % à la fin du quinquennat.

Oui mais minimum retraite, c'est le RMI des retraités, c'est les personnes qui souvent n'ont pas travaillé. Mais tous les autres, en particulier le niveau des retraites les plus bas, c'est 85% du SMIC. Il nous avait fait des engagements de travailler sur ce sujet-là. Je vous l'ai dit, la retraite à la carte, il avait fait des promesses. Donc, il doit veiller à ce que le gouvernement réponde sur les sujets sur lesquels il avait fait aussi sa campagne électorale.

Vu l'état du régime des retraites, Laurence Parisot, patronne du MEDEF, dit -elle- que peut-être il faudra retarder l'âge légal du départ à la retraite. Quelle est votre opinion, François Chérèque ?

Mme Parisot compare des systèmes européens qui ne sont pas comparables. Nous, on  a fait le choix de la durée de cotisations. Alors, si on va dans le sens de ce que dit Mme Parisot : 63 ans pour partir à la retraite. Le salarié qui a commencé à travailler à 16 ans, et on en a une part importante, il part actuellement à 58 ans. Il cotise 42 ans. Si on fait ce que dit Mme Parisot, on lui augmente sa durée de cotisations et il passe à 47 ans de cotisations. Par contre...

Et celui qui a commencé à travailler à 25 ans ?

Celui qui a commencé à travailler à 25 ans, on lui fait payer que 38 ans de cotisations. Donc vous voyez que la proposition de Mme Parisot... Ce qui fait que l'ouvrier qui a commencé à travailler Jeune, qui a eu un métier pénible, alors que le Medef ne dit rien sur la pénibilité et les conditions de travail, on lui augmente la durée de cotisations et le Cadre où la collectivité lui a payé une formation, qui a  pu se faire une retraite complémentaire, lui on lui baisserait sa durée de cotisations... Ca veut dire que c'est l'ouvrier qui va payer la solidarité pour ceux qui ont eu une carrière et des études. C'est une solidarité à l'envers. Donc, on voit bien que cette proposition ne peut pas tenir la route.

A votre place, hier, Patrick Devedjian, secrétaire général de l'UMP, disait : "On va démanteler les 35 heures".

Là, vous savez, il y a une phrase, moi, qui m'a marqué ces derniers temps, c'est celle du Premier ministre : "On est en train de gagner la bataille idéologique sur le temps de travail". C'est-à-dire qu'on est sur une bagarre idéologique. Le pragmatisme est en train de quitter le débat politique. C'est un vrai problème dans notre pays.

On vient de faire une négociation avec le patronat. La CFDT, la CGT -les deux plus gros syndicats français- avec le Patronat ont décidé de laisser la négociation directe dans les entreprises sur les contingents d'heures supplémentaires ; et de pouvoir aller au-delà de ce que prévoient les règlementations de branches. C'est une ouverture qui n'avait jamais été faite.

Et là, on a maintenant des ministres qui demandent plus que le patronat. On est dans la même situation qu'avec le gouvernement Jospin où on a imposé une règle directe des 35 heures dans les entreprises. Là, on a des députés qui font la même chose, de l'autre côté.

C'est de l'idéologie, pour vous ? C'est pas de la politique, c'est pas du pragmatisme ?

Non. Le pragmatisme, c'est d'écouter ce que le patronat et le syndicat ont négocié et de les laisser faire dans l'entreprise. Je pense qu'on a trop subi l'idéologie sur les 35 heures directes. On ne va pas faire la même chose avec une nouvelle loi sur le temps de travail d'une façon directe. Laissons négocier. On a les espaces de le faire. Et si le gouvernement remet en cause l'accord signé avec le patronat, là je vous dis - la CFDT qui a toujours défendu les 35 heures du temps de travail - ne restera  pas inactive.

François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, invité de RTL ce matin. Bonne journée.

Auteur : Jean-Michel Aphatie