M. Kouchner, contraint de retarder de "quelques mois" sa réforme du réseau culturel français à l'étranger

LE MONDE | 17.07.09 | 16h25

La date avait été annoncée. Dans la salle du Palais des Congrès, à Paris, deux mille agents du réseau culturel français à l'étranger se préparaient à apprendre, de la bouche de Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, de quoi leur avenir serait fait. Statuts, missions, pilotage : au terme de quatre mois de concertation, ils allaient enfin voir leur sort éclairci. Et puis, rien.

Jeudi 16 juillet, M. Kouchner leur a finalement annoncé... qu'il ne pouvait pas faire de véritable annonce. "J'aurais aimé vous présenter une réforme bien ficelée", a-t-il regretté. "Mais ce n'est pas si simple, et c'est trop important pour que l'on se trompe", a-t-il ajouté. Une "nouvelle phase de concertation interne (...) de quelques semaines ou quelques mois", à laquelle tous les personnels sont invités à participer, diplomates en poste à l'étranger mais aussi personnels recrutés sous statut local, va donc s'engager. Voilà pour la version officielle.

La version officieuse est moins glorieuse. En réalité, le ministre des affaires étrangères a dû renoncer à la réforme qu'il appelait de ses vœux sous la pression de sa propre administration, relayée à l'Elysée.

Pour comprendre les enjeux, un retour en arrière s'impose. Depuis de nombreuses années, le réseau culturel français à l'étranger souffre d'un manque cruel de lisibilité. Quand nos voisins européens affichent clairement la place de leurs British Council, Goethe Institut ou Institut Cervantès, la France se démène avec de multiples appellations. Instituts français, centres culturels, services culturels des ambassades, alliances françaises... Difficile de s'y retrouver.

À cela s'ajoute la question du pilotage. Là où les autres pays européens ont choisi l'autonomie, les structures françaises dépendent de l'ambassade. Du Sénat au Conseil économique et social, en passant par un récent rapport commandé par le Quai d'Orsay, l'obsolescence du dispositif a été pointée. Le tout sur fond de baisse constante des budgets. De quoi créer un "profond malaise", selon le ministre lui-même.

En mars, M. Kouchner avait lancé le premier étage de la fusée en annonçant la fusion des instituts français, des centres culturels et des services culturels. Il annonçait aussi la création d'une nouvelle agence, à Paris, baptisée Institut français. Fallait-il lui rattacher toutes les structures locales et couper le cordon qui relie celles-ci aux ambassades ?

6 000 agents

Pour en décider, le ministre nommait une "équipe de préfiguration" pilotée par le secrétaire général du Quai d'Orsay, Pierre Sellal. Si diverses sensibilités s'y exprimaient, le projet retenu, fin juin, par M. Sellal restait prudent. Le fameux lien demeurait intact. La nouvelle structure se contentait de reprendre en les élargissant légèrement les missions de l'actuelle agence de promotion, CulturesFrance. Mais les 4 000 agents et les 220 millions d'euros de budget des centres locaux restaient sous la houlette des ambassades.

Et puis, à son retour de Dakar, le 3 juillet, M. Kouchner tranchait. Le projet de l'équipe de préfiguration était écarté. Si bien que, vendredi 11 juillet, Pierre Sellal annonçait à ses "coéquipiers" et aux directeurs du Quai d'Orsay que la nouvelle agence se verrait confier l'intégralité du réseau.

Si certains saluaient "l'audace" du ministre, d'autres s'étonnaient de "l'impréparation" d'une telle annonce. Quant aux diplomates, déterminés à ne pas perdre leurs prérogatives, ils affûtaient leurs arguments : danger de parisianisme culturel, risque de démobilisation des ambassadeurs, perte de statut diplomatique pour certains agents, surcoûts entraînés par le changement de fiscalité...

"Le souci de conserver son petit pouvoir est pour beaucoup dans la réaction des ambassadeurs, mais certains arguments méritent examen", explique Bernard Kouchner, pour justifier son recul. Au ministère, beaucoup attribuent plutôt ce revirement aux pressions exercées jusque dans l'entourage du président de la République. Avec succès.

Nathaniel Herzberg

Article paru dans l'édition datée du 18.07.09