Discours prononcé par M. Dominique de VILLEPIN, Ministre des Affaires étrangères devant les Comités Techniques Paritaires Ministériels 1 et 2, le 26 août 2003 au Centre de conférences internationales


Disponible également le discours du ministre devant les ambassadeurs le 29 août 2003


Mesdames et Messieurs les élus représentants du personnel,
Mesdames et Messieurs les représentants de l’administration,
Chers collègues,

Nous voici de nouveau réunis, moins d'un an après ma première rencontre avec les représentants élus du personnel.

Je suis heureux de cette occasion d’évoquer les perspectives de réforme. C’est une présentation d’orientation et non de décision :

La concertation s’engage, autour d’ateliers, groupes de travail d’ici un prochain CTPM, selon un calendrier interministériel qui s’impose à nous.

Trois sujets majeurs sont à notre ordre du jour, sur lesquels je souhaiterais pouvoir procéder à un échange de vues approfondi avec vous :

  • les propositions du comité de pilotage pour la réforme du ministère (1) ;
  • l’adaptation du réseau diplomatique, consulaire et culturel aux nouvelles réalités de la vie internationale, notamment en Europe (2) ;
  • les suites à donner au rapport d'audit de l’IGAE et de l’IGF sur les indemnités de résidence à l’étranger et sur les primes versées en administration centrale (3).
  • A ces trois points, j'ajouterai un bref commentaire sur l'avancement de nos réflexions quant à l'application de la LOLF à notre ministère (4).


    Le Comité de pilotage de la réforme a fait 107 propositions qui vous ont été communiquées la semaine dernière.

    Je tiens à saluer le travail important, de fond et imaginatif, des membres du comité de pilotage, et, tout particulièrement, de son président, M. Hubert Colin de Verdière.

    Vous savez que le comité a travaillé en liaison étroite avec les directions et services de notre administration centrale, et avec les représentants de plusieurs postes à l'étranger. Ses propositions proviennent donc pour l'essentiel des équipes du ministère elles-mêmes.

    Son président vous a reçu à trois reprises pour vous faire part de l'avancement des travaux du comité. J'ajoute qu'un dialogue s’est noué via le site ouvert sur l'Intranet, site qui a été nourri en temps réel des comptes rendus des travaux du comité.

    L'heure est donc venue d’examiner le plan d'action stratégique "Affaires étrangères 2007" que nous soumet le comité de pilotage.

    Ses propositions prennent en compte les évolutions majeures de notre environnement : la mondialisation, l’importance prise par les questions européennes, les nouvelles technologies de l’information, notamment l'Internet. A ces évolutions externes, s’ajoute celle des finances de l'État. Compte tenu des difficultés budgétaires, qui ne sont pas spécifiques aux Affaires étrangères, l'adaptation de nos réseaux à l’étranger sera nécessaire pour dégager les marges de manœuvre propres à financer la modernisation du ministère.

    Sur ce point, je voudrais que vous sachiez que tout a été mis en œuvre, y compris un arbitrage du Premier ministre lui-même, pour que notre budget pour 2004 soit un budget adapté à nos missions. Avec un projet en augmentation de près de 3 % par rapport à la loi de finances pour 2003, nous devrions avoir les moyens de travailler correctement sans ignorer cependant le risque de nouvelles régulations budgétaires en cours d’année.

    Il n'est pas possible d’examiner aujourd’hui dans le détail chacune des 107 propositions. Celles-ci vont faire à présent l’objet d’une large concertation à tous les niveaux et nous devons laisser ce dialogue se développer librement avant de décider.

    Je voudrais donc me limiter à évoquer avec vous les grandes lignes des propositions du Comité de pilotage, regroupées autour de trois axes :


    (A) Le comité fait de nombreuses propositions pour l'amélioration de la coordination, non seulement entre les services du ministère, mais aussi au niveau interministériel et au sein des ambassades.

    1 - Ces propositions s’articulent donc à trois niveaux :

    Sur le plan interministériel, le comité suggère des programmes d’action interministériels pour favoriser le travail conjoint du ministère des Affaires étrangères et des autres ministères engagés à l’étranger.

    Il suggère également d'instituer un Conseil d’orientation stratégique, présidé par le Ministre, pour réfléchir aux principaux axes de notre action extérieure.

    Au sein même du Département pour améliorer la coordination entre les services, plusieurs idées sont avancées :

    En ce qui concerne les postes, le comité propose de traduire la cohérence interministérielle de l'action extérieure de l'Etat en associant tous les services présents dans le pays à la rédaction d'un « plan d’action de l’ambassade » - et non plus du seul ambassadeur - transmis à toutes les administrations centrales concernées.

    Par ailleurs, dans nos ambassades bilatérales de l’Union européenne, le comité propose de constituer des « pôles de référence des questions européennes », avec l’objectif, à plus long terme, de mettre en place des chancelleries, sur le modèle de notre représentation permanente à Bruxelles, où tous les services extérieurs de l'Etat seraient intégrés et travailleraient en synergie.

    2 - Derrière ces différentes propositions, l’objectif qui me semble important est bien de mettre à nouveau notre ministère au cœur de l’action extérieure de l’Etat et, pour ce faire, de redonner un sens politique à notre métier de tous les jours.

    Qu’il s’agisse de nos ambassades ou des directions du Département, il faut que notre ministère retrouve la responsabilité de fixer le cap pour l’ensemble de nos actions hors de nos frontières. Ceci signifie que l’ambassadeur est à la fois animateur, stratège, coordinateur dans son pays de l’action de la France. Il doit en aller de même pour nos directions géographiques qui doivent réaliser la synthèse pour leur région d'attribution et définir la mission stratégique de la France dans leur sphère géographique.

    Ce sont là des rappels d’évidence. Mais nous avons parfois perdu de vue ces règles de base et il me semble essentiel de retrouver rapidement ce cœur de notre métier qui constitue le propre de la vocation de notre ministère.


    (B) Deuxième axe du plan, les agents doivent se sentir responsables dans leur action

    Le comité de pilotage suggère d’instaurer une gestion par objectifs, avec un contrôle de gestion et l’évaluation des résultats. L’ensemble des responsables sera préparé, dans les deux prochaines années, à ce nouveau mode de gestion. Les chefs de postes diplomatiques et consulaires, comme les directeurs de l’administration centrale, devront rendre compte de la gestion politique et administrative, dont ils seront responsables.

    La LOLF, de son côté, prévoit une évaluation annuelle des programmes et des actions budgétaires, sous la responsabilité des gestionnaires de programme. Un compte rendu annuel sera établi. Ce rendez-vous - pour les chefs de poste comme pour les directeurs - s’inscrira dans le cadre du dialogue régulier avec les gestionnaires de programme, au vu des indicateurs de résultat mis au point dans le cadre de la LOLF.

    Enfin, il est proposé que les nominations aux emplois supérieurs de l’administration soient préparées par un Comité diplomatique et consulaire, présidé par le Secrétaire Général, sur la base des candidatures recueillies à partir du système de la transparence.


     (C) Le comité propose enfin diverses mesures destinées à rendre nos actions plus opérationnelles.

    Un système d'information et de communication plus performant, avec le développement d’une messagerie plus professionnelle, un accès généralisé à Internet, un usage du télégramme mieux ciblé.

    Des méthodes de travail plus adaptées aux contraintes actuelles avec un effort de normalisation pour les documents, pour les notes internes, pour les dossiers de visite, ou encore pour l’organisation des réunions.

    Plus de transparence dans la gestion des hommes et des femmes de ce ministère, avec une charte sur la formation, un recensement des différents métiers du ministère et une généralisation du principe de l’évaluation.

    Enfin, de nouveaux modes de gestion à travers la mise en place dans les postes, dès 2004, de «budgets-pays» permettant d’avoir une vision globale des crédits dans un pays de résidence, une déconcentration et une globalisation accrues des crédits, et, au-delà, la création de services administratifs et financiers (SAF) uniques.

    * **

    Au total, les changements suggérés par le comité de pilotage consistent le plus souvent non en des réformes de structure, mais en des évolutions des modes de travail : transparence, coopération, travail en réseau, gestion par objectifs… Il me semble que cette approche est la bonne, car ce sont bien davantage les mentalités que les structures qui doivent évoluer et s’adapter aux contraintes de notre temps.


    (II) le deuxième point de notre ordre du jour, c’est l'adaptation de nos réseaux à l'étranger.

    Vous le savez, notre réseau à l'étranger a toujours évolué, en fonction de nos priorités et de la situation internationale. Vous avez reçu, dans les dossiers préparatoires à notre réunion, des éléments détaillés sur les changements intervenus ces dernières années. Je n'y reviens pas.

    (1) Nous sommes aujourd'hui confrontés à une triple exigence :

    (2) Au vu de ces exigences, l'évolution de notre réseau doit être envisagée avec pragmatisme :

    • Il faut d’abord, plutôt que de raisonner en fermetures "sèches", jouer sur toutes les variables dont nous disposons. Tel consulat, dont l'intérêt strictement consulaire est limité, joue-t-il un rôle important d'un point de vue politique? Gardons-le, pour cela, en transférant ses fonctions consulaires à un poste voisin.

    Tel centre culturel mobilise des moyens disproportionnés par rapport à sa fréquentation? Fermons-le, quitte à placer un agent auprès d'une autorité locale où il pourra rayonner de façon efficace.

    N'hésitons pas, là où c'est utile, à expérimenter des formules nouvelles, en exploitant par exemple les ressources de notre coopération avec nos partenaires de l'Union européenne, l’Allemagne et le Royaume-Uni en particulier, comme ces antennes diplomatiques dont j'ai décidé la création à Freetown et Lilongwe, deux pays où nous étions pratiquement absents.

    • Il faut également conduire, avec sérieux, une analyse coût-efficacité des paramètres de notre présence.

    Sommes-nous propriétaires ou locataires ? La cession des bâtiments les moins utiles a-t-elle été recherchée ? Le regroupement des services de l'État - que nous allons réaliser à Madrid et à Pretoria par exemple - est-il envisageable ?

    La proportion d'agents expatriés et de recrutés locaux correspond - elle à nos objectifs et à l'allocation rationnelle des ressources ?

    • Enfin, nous devons acquérir le réflexe, encore trop peu commun dans l'administration, de nous demander ce que coûtent nos décisions.


    (III) Le troisième point de notre ordre du jour concerne le rapport des deux inspections sur les indemnités de résidence à l'étranger et sur les rémunérations versées au personnel affecté à l'administration centrale.

    La question des rémunérations, y compris celle des recrutés locaux, conditionne la vie et le bien être de nos agents et de nos familles, en France ou ailleurs.

    (1) La question des rémunérations à l’étranger est liée celle des traitements à l’administration centrale.

    Dans la situation de tension budgétaire actuelle, la tentation est forte de dégager des ressources en diminuant la masse et le niveau des rémunérations à l’étranger. Nos partenaires interministériels, les finances en premier lieu, accroissent leurs pressions en ce sens. Et la Cour des comptes insérera vraisemblablement cette question dans son prochain rapport public.

    (2) En août 2002, à l’issue d’une négociation budgétaire difficile, la direction du budget avait demandé un audit sur la rémunération des agents à l’étranger. Je l’ai accepté, convaincu que nous n’avions rien à cacher et tout avantage à jouer le jeu de la transparence.

    Vous en avez eu les résultats de cet audit. Il confirme ce que nous pressentions : le mécanisme de l’indemnité de résidence et des majorations familiales n’est pas un régime de sur-rémunération ; c’est un système d’indemnisation global, rationnel et équitable des surcoûts liés à l’expatriation.

    S’il a confirmé la pertinence de notre système de rémunération dans son ensemble, cet audit a relevé des incohérences, voire des anomalies, dans un sens comme dans l’autre.

    Ainsi, parmi les écarts les plus flagrants, l’Estonie, par exemple, est au 125ème rang sur 200 pour le montant des indemnités de résidence, alors que la Lettonie voisine est à la 68ème place et la Lituanie à la 41ème. Rien ne justifie de tels écarts.

    Un reclassement des pays paraît dès lors indispensable. Il se fondera sur la méthodologie préconisée, en pondérant le coût de la vie et le coût du logement par un coefficient de difficulté.

    De même, le rapport recommande la meilleure prise en compte des frais d’écolage et des autres coûts spécifiques liés à l’expatriation des familles, notamment ceux liés au logement. On constate à l’heure actuelle trop de disparités injustifiées entre les pays.

    Le rapport suggère également la création d’une indemnité d’éloignement, qui se substituerait à la délivrance de billets de congés payés. Cela va dans le sens de la forfaitisation, qui constitue le principal intérêt de notre système.

    Enfin, l'audit estime dépassé le système des tableaux de vocation, lequel ne concerne du reste qu’une partie de nos corps, et préconise d’y substituer une logique de fonctions exercées, quel que soit le corps d'appartenance de l'agent.

    Le calendrier d'application de ces différentes décisions sera nécessairement étalé dans le temps. Les mesures de rationalisation des grilles pays peuvent intervenir dès le 1er janvier 2004.

    Comprenons bien la logique de la démarche ainsi engagée : les mesures de rebasage de l’exercice budgétaire 2004 dégageront des ressources qui contribueront à l’effort général de contrôle de la dépense publique. Il est de notre intérêt bien compris d'y contribuer sur une base volontaire : en rationalisant notre système, nous renforçons sa légitimité.

    Mais - j’insiste sur ce point - je n'ai accepté cet effort que parce qu'une partie des économies réalisées sera recyclée dans l’amélioration du régime indemnitaire à l’administration centrale. Même après la fusion avec le ministère de la coopération, qui a permis de ramener la plupart de nos corps à la moyenne des administrations de l’État, les comptes n’y sont pas encore, loin s’en faut, pour toutes les catégories. Voilà pourquoi la question des rémunérations à l’étranger n’est pas séparable, de mon point de vue, de celle des traitements et des indemnités en centrale.

    De même, le ministère des affaires étrangères se doit d’être un employeur local exemplaire, en poursuivant la mise en œuvre du plan de revalorisation des rémunérations et de la couverture sociale de nos collaborateurs de droit local, élaboré en 1999. Là encore, l'effort d'économie auquel nous consentons est payé de retour, puisque l'indispensable revalorisation des traitements de nos collaborateurs locaux est enfin financée.


    (IV) Dernier thème de notre ordre du jour, l'application de la LOLF au Département.

    La loi organique sur les lois de finances, la LOLF, qu'on a qualifiée de "nouvelle constitution financière de l'État", va être un puissant levier de changement des habitudes de la gestion publique. En effet, avec son entrée en vigueur, il faudra passer de l'actuelle gestion de moyens à une gestion par objectifs.

    Les arbitrages du Premier ministre relatifs au découpage en missions du budget de l'État ne sont pas encore rendus. Bien entendu, nous avons fait valoir l'intérêt qu'il y aurait à organiser une présentation interministérielle des actions publiques à l'étranger.

    Vous savez que chaque mission, ministérielle ou interministérielle, se déclinera en programmes, qui pèseront 1 à 2 milliards d'euros chacun, y compris les dépenses de personnel. Nous avons donc la place, dans un budget d'à peine plus de 4 milliards, pour 3 programmes.

    Parmi les trois options possibles - un programme unique, avec fongibilité totale des crédits, un découpage géographique des programmes ou enfin une approche par objectifs, avec des programmes déclinés selon les finalités de notre action, nous nous orientons vers la troisième.

    Ceci donnerait schématiquement un programme "influence et rayonnement", un programme "coopération et solidarité", et un programme "services publics à l'étranger". Cette approche aurait l’avantage de présenter le budget en fonction de priorités politiques, et de responsabiliser les directions. Il reste à faire des choix dans la répartition des actions du ministère entre ces différents programmes.

    La LOLF va créer les conditions de l’adaptation de nos métiers et de nos réseaux. Elle instaurera un débat entre le Parlement et les responsables du ministère, entre la direction collégiale et les directions, entre les postes et le Département, entre l'encadrement et les agents. Et notre action extérieure sera mesurée par des indicateurs de résultats annuels, à tous les niveaux hiérarchiques, ce qui doit nous amener à la culture de l'évaluation et du résultat dont notre État a grandement besoin.


    Mesdames et Messieurs, chers collègues,

    Nous devons tous ensemble avoir l’ambition d’une politique étrangère forte et dynamique. Tout le personnel doit contribuer à la modernisation de notre ministère pour rendre celui-ci plus efficace et restaurer sa pleine autorité au sein de l’État. Je veillerai à ce que, à chaque étape de cette modernisation, chacun soit pleinement associé à cette démarche et que le travail ambitieux ainsi entrepris aboutisse à une œuvre commune dont nous pourrons tous être fiers.

    Je vous remercie./.

    Dominique de Villepin