LYCÉES FRANÇAIS DE L’ÉTRANGER (5/5)
Total fournit enseignants et élèves au lycée de
LuandaL’établissement, qui compte un tiers d’enfants d’expatriés de la compagnie pétrolière, embauche des professeurs parmi les conjoints de « Totaliens » et reçoit une participation financière de l’entreprise
LUANDA (Angola)
De notre envoyé spécial
.
En soi, le lycée français de Luanda n’a pas grand chose d’exotique. Aucune tradition historique, venue de la colonie, à assumer. Peu d’originalité architecturale pour ce bâtiment aéré et clair bâti en 1998. Ce vendredi matin, à 8 h 10, la cour de récréation est remplie d’enfants. « L’image est multicolore, un peu comme dans un lycée classé en ZEP (zone d’éducation prioritaire) en France. Dans le collège où j’étais à Nantes, on trouvait aussi des élèves de nombreuses nationalités différentes. La grande différence est qu’ici, les parents de tous les enfants ont de l’argent et un travail », lance Marc Chatté, le proviseur du lycée.Cette année, il fête ses vingt cinq ans en Afrique, passés à enseigner les sciences physiques, puis à diriger des établissements français. Avant d’arriver à Luanda, il y a cinq ans, il dirigeait le lycée d’Antsirabé, à Madagascar.
La veille au soir, Marc Chatté avait coprésidé l’assemblée générale des parents d’élèves, aux côtés de Jean-Marc Fontaine, parent d’élève et secrétaire général de Total Angola. Dans un bel exercice démocratique, ils avaient présenté les comptes de l’établissement et les projets de construction de la cantine, écouté les conclusions d’une enquête menée par un groupe de parents d’élèves sur les horaires scolaires, répondu aux quelques questions, notamment sur la possibilité d’étudier le portugais, la langue pratiquée en Angola.
« Les écoles françaises sont d’abord faites pour enseigner le français », rappelait Marc Chatté.Pourtant, une bonne partie des élèves du lycée n’a pas la langue française comme langue maternelle. Un tiers d’entre eux sont angolais, un tiers sont des enfants des expatriés français de Total, le reste est composé d’enfants de diplomates ou d’expatriés francophones. Ils auront réglé, par trimestre, 1 500 € pour un élève français, 1 700 € pour un Angolais et 2 200 € pour un autre étranger.
« Les Angolais paient moins cher que les autres étrangers, car nous sommes chez eux ; les Français de Total paient 10 % de plus comme participation de la compagnie pétrolière au financement du lycée », détaille Marc Chatté. Le « rabais » pour les Français est motivé par le fait que 25 % des coûts du lycée sont pris en charge par l’État français, à travers un soutien de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (Aefe) et la mise à disposition de professeurs expatriés.« L’importance que les parents attachent à l’enseignement nous aide »
, affirme Marc Chatté, fier de montrer des résultats aux examens, supérieurs à la moyenne nationale. « Les expatriés ont généralement été de bons élèves, ce qui leur a permis d’avoir de bons boulots. Ces parents français valorisent l’école. »L’école doit refuser du monde. Comme d’ailleurs sa concurrente à Luanda, l’école internationale, qui délivre son enseignement en anglais. Le coût de la scolarité pour un élève de terminale y est de 20 000 € par an.
Pour être sûr que leur enfant pourra avoir accès à l’école durant toute sa scolarité, ses parents devront payer un droit d’entrée de 75 000 €. Dans les faits, ce sont généralement les compagnies pétrolières qui régleront ce droit à l’école. Les enfants des expatriés des compagnies pétrolières anglo-saxonnes s’y précipitent donc.
« Le problème du lycée français, pour de nombreux Anglo-Saxons, c’est la langue », explique une femme d’expatrié. Autre avantage comparatif, l’école internationale est plus proche des « coumpounds », ces lotissements gardés où vivent les expatriés, alors que le lycée français est à côté du centre-ville et du quartier diplomatique. La proximité est un critère de choix essentiel dans une ville qui connaît des embouteillages constants.Total fournit un contingent important d’élèves au lycée français. La compagnie pétrolière est aussi un réservoir de professeurs. Patricia Mure achevait à Luanda en juillet trois années d’enseignement de la musique. À chaque poste de son mari – « Totalien », c’est-à-dire expatrié pour Total – cette mère de deux enfants a pu enseigner la musique. « Je suis diplômée du ministère de la culture comme professeur de flûte en conservatoire. En France, je ne serais pas titulaire dans un établissement scolaire », explique-t-elle. À Port Harcourt, au Nigeria, elle enseignait à l’école d’entreprise commune à Michelin et Total. À Damas, en Syrie, Patricia Mure était professeur au lycée français. Ici, à Luanda, elle a monté pour deux classes de cinquième un itinéraire de découverte sur la musique en Afrique. Pour cela, elle est allée acheter les livres nécessaires à Johannesburg, en Afrique du Sud, et fait venir un griot originaire de Mauritanie. Également femme de « Totalien », Marie-Christine Caïe remplit les livrets scolaires, dans la petite salle des professeurs du lycée. Elle enseigne hors de France, depuis dix-sept ans, l’histoire et la géographie. Pour elle, la mixité culturelle du lycée de Luanda est une richesse. Un tiers du programme d’histoire est adapté à l’Afrique, sauf pour les classes d’examens, de troisième et de terminale. « En sixième, quand j’aborde l’Égypte, on insiste sur la Nubie. Au Moyen Âge, je parle de la constitution des royaumes africains, du commerce transsaharien, puis de la traite des esclaves. J’ai souvent l’impression de rendre la fierté de leur culture à des élèves africains acculturés sur leur propre histoire. » Pour faire de la place à l’histoire de l’Afrique, Marie-Christine Caïe passe un peu plus vite sur Alexandre ou Charlemagne. De temps en temps, Marc Chatté trouve « un professeur qui suit son mari et vient enseigner au lycée simplement pour s’occuper. Cela n’est pas facile à gérer et peut demander six mois de réglage. » Ces professeurs, conjoints de « Totaliens », ne sont pas que des femmes. Cette année, un homme, ingénieur de formation, a suivi à Luanda sa femme ingénieur chez Total. Il enseignait les sciences de la vie et de la terre au lycée. Marc Chatté, le proviseur, aime son métier et les numéros d’équilibriste que lui impose parfois l’Angola. « Il faut faire, par exemple, avec les coupures d’eau ou d’électricité. Un camion-citerne d’eau nous est livré chaque jour. » « Ce lycée est la meilleure surprise de mon installation à Luanda », glisse une mère d’élèves, pendant l’assemblée générale.
PIERRE COCHEZ
Le lycée Alioune-Blondin-Beye
|
REPÈRES DES ÉLÈVES DE 28 NATIONALITÉS DIFFÉRENTES
|
Venu enseigner les mathématiques à Luanda pour vivre mieux, il souhaite désormais partir dans un pays anglophone
Gilles Milewski, un professeur en quête de liberté
I
l y a cinq ans, Gilles Milewski est venu à Luanda pour « s’acheter une liberté. Celle de pouvoir assurer les études de mes enfants. J’en avais assez, aussi, de devoir aller directement au rayon alimentaire du supermarché, sans pouvoir m’arrêter dans les premiers rayons de hi-fi ou de vêtements, par manque d’argent. » Aujourd’hui, ce professeur de mathématiques se voit repartir vers un autre pays, mais pour d’autres libertés.Pendant seize ans, Gilles Milewski a été professeur de mathématiques en Lorraine. « Pour partir à l’étranger, tout s’est enclenché en douze jours. La sélection a été rude, car il y avait 1 800 professeurs pour quatre postes. J’ai mis Luanda en premier choix, car je savais que ce serait le moins demandé. » Accepté, il prend pour la première fois l’avion, avec sa femme – qui est à Luanda professeur des écoles en maternelle, avec le statut de résidente – et ses trois enfants, maintenant âgés de 14, 11 et 8 ans. Ils habitent dans le quartier de Cassenda, où ils sont les seuls Européens, une maison qu’ils louent 1 200 € par mois. « Une à deux nuits par semaine, nous sommes réveillés par des coups de feu. Nous pouvons aussi passer plusieurs jours sans eau. Les parents d’élèves de Total nous donnent alors des jerricanes d’eau. Avec deux litres d’eau, on peut être propre. Dans ces cas-là, le plus gênant, c’est sans doute de ne pas pouvoir faire la vaisselle. J’avoue que je n’avais pas prévu cela. Mais je trouve bien pour mes enfants d’être confrontés à la réalité. Même si, pour moi, je préférerais vivre dans un des immeubles de Total. » Voilà pour l’aventure de sa vie quotidienne. Dans sa vie de professeur, Gilles Milewski a trouvé aussi de quoi être surpris. « Ici, au lycée, les enfants sont très favorisés. Ils ont à la fois l’argent, l’école et les relations. Il arrive à certains de poser sur leur table un téléphone portable à 460 €. Tous ont pris l’avion et parlent plusieurs langues. Je peux consacrer à chacun deux fois plus de temps qu’en France, car j’ai deux fois moins d’élèves par classe. Ici, aussi, on ne me contingente pas le nombre de photocopies que je peux faire. »
Ce petit-fils de mineur immigré polonais voudrait continuer maintenant son « ouverture au monde » par un pays anglophone, « pour que mes enfants maîtrisent cette langue. » Mais Gilles Milewski sortira touché de sa rencontre avec l’Angola. « Avec mon métier, j’ai le sentiment de participer au développement de ce pays attachant. Je l’aime et je le déteste. C’est un pays qui a tout et j’ai vraiment l’espoir qu’il s’améliore encore. »