LYCÉES FRANÇAIS DE L’ÉTRANGER
(1/5)Une flamme francophile
en BohêmeLe lycée français de Prague, inauguré en 1997, renoue avec une vieille tradition d’amitié franco-tchèque et avec la pratique de la langue, supplantée par le russe pendant quarante ans de communisme
PRAGUE
De notre envoyé spécial
Natacha Lapsanska avait perdu au fil des ans les rudiments de langue française acquis sur les bancs du lycée. En 1987, un voyage scolaire en Belgique contraint l’enseignante de mathématiques à se rendre à l’évidence : « Mes élèves parlaient mieux français que moi. Je découvrais que j’avais tout oublié. »
De retour à Prague, la jeune femme file à l’Institut français où, trois fois par semaine, elle va suivre des cours. Quand, en 1989, la « révolution de velours » ouvre le pays, l’enseignante est « prête ». Elle participe à la création d’une section bilingue franco-tchèque d’un lycée public. Dans un climat d’effervescence, se souvient-elle : « Le pays a vite compris que ce n’est pas l’Europe qui allait se mettre à apprendre le tchèque. » Natacha a depuis franchi un pas supplémentaire en rejoignant l’équipe du lycée français de Prague. « La scolarité française est construite sur un modèle complexe, avec une progression, un souci de cohérence, s’enthousiasme la mathématicienne. En comparaison, les programmes tchèques apparaissent comme une succession de chapitres ajoutés les uns aux autres, sans liaison. »
Tout beau et tout nouveau. À l’entrée d’un bâtiment qui fut jadis un couvent des religieuses de Saint-Charles-Borromée, une plaque rappelle que Jacques Chirac inaugura l’édifice au printemps 1997. Au fond de la cour, des locaux modernes hébergent les classes des collégiens et lycéens, un gymnase où des adolescents se livrent à une partie de « floorball » (variante de hockey), le sport national. Situé à deux pas des jardins du parc Petrin qui s’élève sur les toits de tuiles de la capitale de la Bohême, le lycée français s’est taillé en quelques années une belle réputation.
Les effectifs grimpent en flèche. Près de 700 élèves, de la maternelle au lycée, sont attendus à la rentrée, contre seulement 380 en septembre 1998. La moitié des élèves sont issus de familles françaises (environ 2 000 familles sont installées dans le pays), 30 % sont tchèques et 20 % d’autres nationalités. Tout en feignant la discrétion, chacun rappelle ici, non sans fierté, que la ministre de l’éducation sortante a fait le choix de cet établissement pour sa fille.
Le lycée se défend pourtant d’être une simple officine huppée pour enfants de notables. « Ce qui intéresse, c’est la rigueur d’un système qui privilégie l’esprit critique plutôt que l’accumulation de connaissances, analyse Serge Faure, directeur du lycée. De plus, le projet de l’établissement repose sur le choix de faire vivre une vraie diversité culturelle. » Les demandes d’inscription viennent de familles tchèques qui ne sont pas forcément fortunées mais entretiennent une forte ambition intellectuelle pour leurs enfants. Chaque année, faute de place, le lycée français ne peut honorer toutes les attentes. Après quarante ans de communisme, l’attrait pour la culture et la langue françaises reste toutefois encore bien timide au regard des passions qui lièrent les deux pays au début du XXe siècle.
Entre les deux guerres, la France représente le plus solide soutien de l’indépendance du pays face aux velléités d’annexion germaniques. « Être francophile, c’est alors être patriote », résume Stéphane Reznikow, agrégé d’histoire au lycée français et auteur d’une thèse sur le sujet. En cet âge d’or de la francophilie, la bourgeoisie de la moindre ville tchèque apprend le français grâce à un réseau de plus de 70 Alliances françaises, le plus important du monde. Des sections bilingues ont déjà vu le jour dans les lycées et une école française est créée pour les familles de militaires en poste à Prague. C’est aussi l’époque où Schneider possède Skoda, où 100 000 ouvriers tchèques travaillent dans les mines et dans les fermes de l’Hexagone. Arrive la guerre, puis l’intervention soviétique. L’apprentissage du russe s’impose dans l’enseignement et les institutions culturelles étrangères mettent la clé sous la porte. Jeune normalien, Stéphane Reznikow est arrivé à Prague en 1990 pour effectuer son service militaire à l’Institut français.
« Je revois encore ces hommes qui évoquaient en larmes leurs souvenirs de la présence française dans les années 1930. » L’enthousiasme des retrouvailles franco-tchèques est depuis retombé. Ou plus exactement, comme partout dans l’ancien bloc soviétique, il a été noyé sous la déferlante de la culture anglo-saxonne. L’enseignement du français se maintient certes en troisième position, mais très loin derrière l’anglais et l’allemand (lire les Repères page précédente). Plutôt que de baisser les bras, la direction du lycée français a repris l’offensive en lançant, en 1999, un cursus bilingue pour les jeunes Tchèques. Les élèves intègrent l’école en classe de CM2, au cours de laquelle ils vont avoir une formation de dix heures hebdomadaires en français. À la fin de la sixième, ils rejoignent leurs camarades francophones pour suivre un cursus qui les mènera jusqu’au baccalauréat. Une soixantaine d’élèves se sont déjà engagés dans cette voie et vingt nouveaux candidats sont attendus à la rentrée. « Avec les petits de sixième, j’enseigne encore les maths en tchèque, puis, à la fin de l’année, je donne tous les exercices en français », explique Natacha Lapsanska.
« Il a fallu quelques ajustements avec les premières promotions mais on arrive maintenant à un taux de réussite de 75 %, assure le directeur, Serge Faure. Le but est de fidéliser les familles et de pousser des jeunes à poursuivre leurs études supérieures en France. » Les frais d’inscription qui s’élèvent normalement à 5 000 € sont ramenés à 1 500 € les deux premières années puis 2 500 € les années suivantes. Dans ce pays où le niveau de vie moyen est encore très modeste, le choix du lycée français représente un gros investissement. Mais le dispositif porte ses fruits. « Ce sont souvent les jeunes Tchèques qui tirent les classes vers le haut », remarque Stéphane Reznikow. Le système scolaire forme plusieurs centaines de jeunes francophones. Même si l’âge d’or de la francophilie appartient au passé, Stéphane Reznikow veut rester optimiste. « Le français enregistre toujours une bonne cote, assure-t-il. Quand vous demandez à l’homme de la rue quel est son pays préféré, il répond la plupart du temps, la France. »
BERNARD GORCE
« Ce qui intéresse, c’est la rigueur d’un système qui privilégie l’esprit critique plutôt que l’accumulation de connaissances. »
REPÈRES
À L’ÉCOLE, LE FRANÇAIS EN TROISIÈME POSITION
Environ 900 000 élèves tchèques apprennent l’anglais à l’école et 630 000 l’allemand. Le français conserve, loin derrière, la troisième position avec 46 000 élèves.
Des sections bilingues ouvertes à partir de 1990 dans quatre lycées scolarisent environ 900 élèves. Toutefois, des enseignants critiquent aujourd’hui un désengagement de l’État français qui se traduit par une diminution du nombre de postes de professeurs de nationalité française titulaires dans ces établissements.
La France est la deuxième destination des étudiants tchèques après l’Allemagne. L’attractivité de notre pays souffre d’un handicap : le système français des bourses, qui sont en général accordées aux étudiants étrangers à partir de la licence, limite les possibilités d’études en France.
Les locaux modernes du lycée de Prague, qui fut jadis un couvent des religieuses de Saint-Charles-Borromée,
doivent accueillir 700 élèves à la rentrée.VITEK HOFMANN/POUR LA CROIX
Les familles tchèques choisissent le lycée par attachement à l’éducation « à la française »
Le système français jugé exigeant
J
arka Chudoba et son mari ont fui la Tchécoslovaquie communiste en 1987 pour la France. De retour à Prague douze ans plus tard, le choix du lycée français s’est imposé tout de suite à la famille Chudoba. Il est vrai que les deux enfants, Claire et Matthieu, nés en France, étaient déjà francophones. L’attachement au système éducatif a aussi beaucoup compté.« La scolarité tchèque mise davantage sur les sciences dures, la physique, la biologie ou les maths. Le système français insiste plus sur la langue et la culture, il valorise la réflexion »,
explique la mère de famille. Jivi Smetana a lui aussi vécu une quinzaine d’années dans l’Hexagone avant de revenir dans son pays en 1998. Ce musicien a pu décrocher une bourse, car sa fille possède la double nationalité. Les frais de scolarité à sa charge restent lourds, mais il ne regrette rien. « C’est le meilleur lycée de la ville. Ma fille vient de passer le bac, elle parle français mieux que moi, mais aussi allemand et anglais. Elle va maintenant poursuivre ses études en France en classe prépa. »L’ouverture sur les langues et l’initiation à l’esprit critique sont les motivations mises en avant par les familles tchèques. Mais la scolarité française comporte aussi ses défauts. Au premier rang de ceux-ci, l’emploi du temps très lourd. En République tchèque, la journée de classe se termine en début d’après-midi et les élèves peuvent alors participer à des activités sportives ou culturelles. Une culture de l’évaluation globale des élèves contribue également à forger une image dure de notre enseignement.
Dans le système tchèque, la notation de 1 à 5 classe les élèves, mais seules les compétences sont appréciées. Des commentaires sur la personne, sur les « bons » ou « mauvais » élèves comme savent en émettre des enseignants en France ne sont pas imaginables.
Les familles praguoises qui tentent l’aventure d’un cursus bilingue f r a n c o - t c h è q u e s’interrogent parfois sur l’effort qu’ils demandent à leurs enfants. Katerina Sekoua a inscrit son aîné au collège anglais, la soeur cadette au lycée français. La famille Sekoua est représentative de ces Tchèques qui, après des décennies de communisme, misent énormément sur l’ouverture. Mais parfois, la mère de famille « doute »de ses choix. « Après 1989, se souvient-elle,
certains ont voulu remettre totalement à plat les principes d’éducation. D’autres, au contraire, ses sont crispés pour ne toucher à rien. On a le sentiment que chacun cherche, mais personne ne sait ce qui convient vraiment. On ne souhaite pas revenir en arrière, mais on voudrait retrouver un peu du calme que nous connaissions dans notre propre jeunesse. »B. G.