MARDI 22 AOÛT 2006

LYCÉES FRANÇAIS DE L’ÉTRANGER (2/5)


Shanghai


En septembre dernier, l’établissement comptait déjà 850 Français et 650 Allemands.

L’école franco-allemande de Shanghaï en pleine expansion

Niché dans le nouveau district de Qingpu, le flamboyant EuroCampus, sorti de terre l’an passé, s’est déjà agrandi pour accueillir à la rentrée 2 100 élèves français et allemands

Vous tendez une adresse gribouillée en caractères chinois sur un bout de papier. Le taxi fonce. Trois quarts d’heure plus tard, il s’arrête devant le parking de l’école franco-allemande, en bordure de l’ancienne concession française de Shanghaï. Ce n’est plus la bonne adresse. Et l’aiguille de votre montre galope. Le chauffeur s’affole, attrape un plan de la ville, puis un autre. Dépité, il demande finalement sa route à une jeune Chinoise qui sort du bâtiment. Localiser l’Eurocampus, le nouvel établissement scolaire des Français et Allemands vivant à Shanghaï, est un vrai casse-tête pour les taxis du coin. « Et pour cause, il y a un an, la route qui y mène n’existait même pas », glisse, amusée, Rose-Marie Marchais, la tonique directrice du nouveau campus, qui pilotait auparavant le lycée français de Londres. À peine surgi de terre, en septembre dernier, l’établissement comptait déjà 850 Français et 650 Allemands, soit sa capacité d’accueil maximale. Et tout au long de l’année, la liste des inscriptions pour la rentrée 2006- 2007 n’a cessé de s’allonger. « On prévoit plus d’un millier d’élèves pour la seule partie française. Et l’Allemagne croît à la même vitesse. Beaucoup de sociétés se sont implantées. Et nous accueillons, outre notre clientèle d’expatriés, de plus en plus d’enfants d’entrepreneurs ayant créé une PME dans la région », explique Rose-Marie Marchais. Que faire ? Refuser du monde ? Gonfler les classes ? « Nous souhaitons coller au plus près des besoins. Et les classes sont prévues pour 15 (en maternelle) ou 25 élèves (dans le primaire et le secondaire), car nous travaillons en partenariat avec les Allemands, qui estiment que l’enseignement est de meilleure qualité avec de petits effectifs. »

Seule solution : pousser les murs. Dès janvier, l’Euroboard, l’organe de décision franco-allemand, auquel sont étroitement associés les parents d’élèves, demandait une étude d’extension. Le mois suivant, des groupes de travail se réunissaient pour définir avec précision les nouveaux besoins : 2 100 élèves, soit 600 de plus que l’an passé, devaient pouvoir être accueillis cette année. À cette fin, il fut décidé de créer 12 classes supplémentaires, de multiplier le nombre de bus (garés sur le parking en face du campus), d’agrandir la cantine et la bibliothèque ou encore d’adapter les installations sportives… Les nouvelles classes seront finalement construites sur le terrain de sport, lequel sera déplacé un peu plus loin, à proximité du nouveau centre d’art. Celui-ci regroupera, au rez-de-chaussée, des salles de musique, un labo photo et un auditorium-théâtre, et, à l’étage, quatre salles pour exposer les oeuvres artistiques des chérubins. Les travaux, évalués à cinq millions d’euros, ont démarré en mai dernier et seront achevés pour septembre. D’autres nouveautés sont au programme. Les lycéens utiliseront pour la première fois le livre d’histoire commun franco-allemand, coédité par le français Nathan et l’allemand Klett. La cour de récréation se sera aussi métamorphosée. Le nouvel aménagement a été imaginé, l’an passé, par les élèves du cours préparatoire. Exposée dans le hall, la maquette du projet, intitulé « Vivre ensemble », prévoyait une piscine, des grottes pour se cacher ou encore un kiosque chinois. Après révision des ambitions, la cour s’enrichira tout de même de nouvelles structures de jeux et d’espaces de plantations. L’état des infrastructures actuelles ferait déjà pâlir d’envie les responsables de n’importe quel établissement européen. Le très moderne bâtiment en briques grises et orange, conçu par les architectes allemands Gordon Brandenfels et Dietmar Berner pour 20 millions d’euros, s’étend sur 44 000 mètres carrés. Une grosse partie de la surface est dédiée aux installations sportives. Un immense terrain de football voisine les espaces dédiés au handball, au ping-pong ou à l’athlétisme. « Tout est aux normes. On peut préparer les Jeux olympiques ! », sourit la directrice du campus.

À l’intérieur, la douce harmonie du jeu des matériaux charme aussitôt l’oeil. Le grand hall, tapissé de baies vitrées, est dominé par une « piazza » en bois. C’est ici que se déroulent les spectacles de fin d’année ou des manifestations plus ponctuelles telles que ce récent « défilé de mode utopique ».  D’élégantes colonnes blanches et des ponts en verre rythment l’architecture intérieure et extérieure du campus. Au rez-de-chaussée, la cantine, jaune et rouge, est organisée comme un self. Le cuisinier, un Alsacien, consensus franco-allemand oblige, est réputé pour ses choucroutes.

C’est l’heure de la récréation. Le campus fourmille de gamins, de tous âges, se déplaçant par petits groupes. Spontanément, beaucoup s’apostrophent par des « hi ! » ou « hello ! » anglais. Adrien, 17 ans, est l’un des plus anciens. Ses parents l’ont inscrit en CM1-CM2 dès que l’école française a ouvert, en 1997. Elle était alors hébergée par sa cousine allemande, qui avait déjà reçu l’autorisation des autorités chinoises. Les cours se déroulaient dans une villa. « Nous étudiions dans une chambre. Et la cantine était dans le salon », se souvient Adrien, souriant grand gaillard aux cheveux longs. Des cours furent aussi donnés dans un hôtel, avant que l’école s’installe dans le vieux Shanghaï, puis, l’an dernier, dans le nouveau district de Qingpu. Élève de terminale ES (économique et sociale), Adrien s’est envolé pour aller passer son bac à Pékin en juin dernier. Cet été, il a préparé le concours d’entrée à Sciences-Po. Ses atouts ne sont pas des moindres. Adrien parle anglais, espagnol et chinois. Il a aussi été initié à la philosophie, à la culture et à la poésie du pays d’accueil. Comme la plupart des enfants scolarisés dans l’établissement, Adrien est un fils d’expatrié. Les parents d’élèves sont très impliqués dans l’organisation et le fonctionnement. Élu au comité de gestion, Antoine Lopez, père de Daniel, 8 ans, et André, 6 ans, est chargé des « ressources humaines ». Inimaginable en France, il a son mot à dire pour le recrutement des futurs enseignants. C’est  son employeur, un groupe de chimie, qui prend en charge les frais de scolarité. « Quand une entreprise envoie son salarié à l’étranger, sa famille est obligée de suivre. La femme et les enfants sont perdus. L’entreprise en a conscience et prend de plus en plus de frais à sa charge. C’est dans l’intérêt de l’employé, donc de l’entreprise », pense-t-il, tout en faisant remarquer que « les entreprises cherchent de plus en plus de personnes sur place, pour ne plus avoir à payer les avantages des expatriés ». Il évalue les frais de scolarité annuels entre 5 000 et 8 000 € l’année. « C’est l’école internationale la moins chère de Shanghaï », assure-t-il. Des bourses existent. Une trentaine de dossiers ont été déposés auprès du consulat français pour la rentrée.

AUDE CARASCO

En septembre dernier, l’établissement comptait déjà 850 Français et 650 Allemands.

L’école franco-allemande de Shanghaï en pleine expansion

Niché dans le nouveau district de Qingpu, le flamboyant Eurocampus, sorti de terre l’an passé, s’est déjà agrandi pour accueillir à la rentrée 2 100 élèves français et allemands. La cour de récréation s’enrichira, à la rentrée, de nouvelles structures de jeux. Ce sont les élèves du CP qui ont imaginé la maquette du projet.

Les parents aux commandes

Les parents d’élèves peuvent être élus pour deux ans au sein du comité de gestion. Placé sous la houlette de l’Euroboard, l’organe décisionnel franco-allemand, ce comité veille à « permettre à l’équipe éducative d’assurer un enseignement de qualité », dispose d’un « rôle d’employeur » pour la centaine de salariés et « gère les moyens matériels et financiers » du campus. Le fonctionnement de l’établissement est simplifié par la similitude du montage des écoles françaises et allemandes à l’étranger : elles dépendent des pays d’appartenance, notamment pour la préparation du bac ou l’organisation pédagogique et administrative. Les frais de scolarités sont en partie financés par l’école. 

Marie Forrestier, une enseignante épanouie

Installée depuis deux ans à Shanghaï, cette jeune Nantaise se réjouit d’entamer sa carrière dans des conditions de travail idéales. Marie Forrestier, jolie blondinette vêtue d’une petite robe noire, enseigne pour la deuxième année à l’école française de Shanghaï. Sa classe, toute colorée de bleu et de jaune, est celle des CM1. Au mur, la carte de la France métropolitaine est aussi grande que celle du monde. La plupart de ses élèves sont français, mais il y a aussi quelques francochinois et un enfant de parents argentins. Comme sa vingtaine de collègues français, Marie Forrestier se sait privilégiée, tant par la qualité de l’équipement et les conditions de travail que par le niveau des élèves et l’ambition du projet pédagogique. « Nous sommes très stimulés au niveau des projets. Il se passe toujours quelque chose dans le campus. On attend beaucoup de nous. Mais c’est très dynamisant ! » Au cours de l’année scolaire écoulée, elle s’est beaucoup impliquée dans un projet « sciences ». « Il s’agissait de créer des objets en mouvement. Nous avions quelques mois pour les imaginer et les fabriquer. Toutes les classes, de la maternelle au CM2, y participaient. Et une grande exposition a été organisée en avril dernier. »

Le parcours de Marie Forrestier n’a rien d’original. Après des études de lettres et de sciences de l’éducation, la jeune femme a suivi son compagnon à Shanghaï. Elle a contacté l’école. Par chance, une nouvelle classe venait de s’ouvrir. Et on avait besoin de ses services. La jeune femme se plaît à Shanghaï, même si sa ville, Nantes, et la nature lui manquent de temps à autre. Sur le plan professionnel surtout, elle sait ce qu’elle va perdre en retournant enseigner en France. « Il y a une telle différence d’enthousiasme ici. Élèves et enseignants semblent si ouverts, avoir un tel désir de connaissances et d’enrichissement mutuel. »

Il faut dire que la stimulation est omniprésente. Partout dans le campus, des affichettes proposent de créer des équipes de rugby ou des groupes de musique. En parcourant les étages, la présence de coins « salon » entre les petites classes attire l’oeil. Ces espaces, explique-t-on, sont prévus pour donner des cours particuliers à un élève, dès que l’enseignant s’aperçoit qu’il ne suit plus. Pas étonnant, avec un tel soutien, que tous les élèves décrochent leur bac avec jusqu’à « 40 % de mentions bien et très bien ».

AUDE CARASCO