Solidarité avec les universitaires et les étudiants haïtiens

( 18 décembre 2003)

voir communiqué des personnels du lycée français

déclaration du Quai d'Orsay : http://www.diplomatie.gouv.fr/actu/article.asp?ART=39425 

documents


Photo : Thony Belizaire (AFP - samedi 6 décembre 2003, 9h06)

Haïti est une petite île, voisine de Saint-Domingue et de  deux départements français qui attirent nos compatriotes à la recherche de plages de sable blanc, de cocotiers et d'un soleil qui brille même en hiver... Haïti accueillit naguère quelques uns de nos ancêtres, venus produire du café et du sucre. Mais en 1804, la révolte des esclaves noirs mit en déroute l'armée française et conduit à la proclamation de la 1ère République noire.

Depuis, ce petit État connut de nombreux bouleversements politiques et son économie devint si faible que celle qui était dénommée la Perle des Antilles est devenue l'un des pays les plus pauvres au monde. La santé et l'éducation y sont si précaires que les mouvements de protestation se multiplient, face au silence et à l'indifférence des nations riches qui l'entourent. Pénurie de médicaments, d'équipement éducatif, de livres.

Le 5 décembre dernier, les étudiants de la faculté des sciences humaines protestent car des millions de dollars doivent être consacrés aux festivités de la commémoration du bicentenaire de l'indépendance.

La barbarie alors atteint les limites du tolérable. Le recteur de l'université est sévèrement battu à coups de barres de fer: il a les deux jambes brisées à la hauteur des genoux, des étudiants sont blessés, les locaux sont saccagés: exit la bibliothèque, exit les ordinateurs, exit les notes obtenus par les étudiants pour qui étudier représente un espoir et un combat.

Les "organisations populaires", mises en place par le régime du président Aristide sont aidées dans leur tâche de destruction massive par la police qui oriente les contre-manifestants et leur montre la voie.

Des membres de la coopération française en visite dans une bibliothèque toute proche assistent à la scène et témoignent auprès des Français impliqués dans la mouvement syndical. Car il est impensable que des éducateurs ne se sentent pas concernés par les traitements qui sont infligés à des collègues haïtiens, à des lycéens, à des étudiants.

Cette violence inégalée jusqu'à ce jour fait suite à une montée grandissante de l'agitation sociale et politique qui règne dans le pays.

Nous demandons à tous ceux qui se sentent concernés par une telle situation d'envoyer des messages de sympathie et de soutien au recteur et aux étudiants ainsi qu'aux intellectuels qui sont particulièrement visés dans ce pays. Certains d'entre eux se promènent avec un cercueil sous le bras tant la barbarie est à leurs portes.

Garderons-nous indéfiniment le silence?

Aujourd'hui des manifs vont encore avoir lieu; des enfants de collège et des lycéens s'associent aux étudiants, l'un d'entre eux (12 ans) a été tué par balle.

Ils défilent désormais armés de bâtons pour parer les coups meurtriers qui les frappent. Le pouvoir en profite pour déclarer que les mouvements étudiants sont armés. Il s'agit, en effet, d'autodéfense puisque la police laisse faire....

Port-au-Prince, le 11 décembre 2003

COMMUNIQUE DES ENSEIGNANTS ET DES PERSONNELS 
DU LYCEE ALEXANDRE DUMAS DE PORT-AU-PRINCE, HAÏTI.

De récents événements ont eu lieu à Port-au-Prince le vendredi 5 décembre 2003 : saccage de l’université et blessures infligées au recteur Paquiot et aux étudiants alors que ces derniers manifestaient contre le pouvoir en place. Des organisations populaires et pro-gouvernementales, appelées en Haïti "les chimères", les ont violemment et méthodiquement réprimés : les coups n’ont pas été portés au hasard. Suite à ces actes, 34 étudiants ont été admis à l’hôpital du Canapé vert, certains choqués et d’autres blessés par balles. Quelques uns ne souhaitent pas que leur identité soit dévoilée par peur des représailles.

C’est pourquoi une délégation représentant le personnel du lycée Alexandre Dumas s’est rendue le 11 décembre auprès de quelques membres de l’université d’État d’Haïti (M.C. Rousseau de la faculté des sciences, M. J. Gourgue, de la faculté des sciences humaines, M. E. Camille de la faculté d’odontologie et M. F. Deshommes, vice-recteur à la recherche). A cette occasion, ces personnes nous ont remis des documents (note de protestation, mémorandum, note de presse…) que nous vous transmettons en pièce-jointe. A la suite des agressions récurrentes et intimidations menées contre les étudiants et les professeurs, les enseignants rencontrés se mobilisent pour demander le départ du gouvernement. Nous leur répondons qu’en tant que fonctionnaires de l’État français, nous souhaitons manifester notre solidarité envers d’autres enseignants mais que nous ne sommes pas en droit de juger de la situation politique.

Ils se montrent très choqués de la gravité des blessures par coups de barres de fer portés sur les genoux ayant entraîné la rupture des tendons et constituant des lésions très graves pour le recteur. Aucun centre de rééducation n’existant en Haïti, l’ensemble du conseil réfléchit à une possibilité d’évacuation de leur collègue soit vers la France soit vers le Canada. C’est à ce prix qu’il pourra retrouver l’usage de ses jambes. Les professeurs du lycée Alexandre Dumas proposent aux membres de l’université que cette information soit diffusée auprès des autorités françaises en poste à l’ambassade afin que le transfert vers la France du recteur Paquiot soit facilité.

Ces membres de l’université souhaiteraient également que l’information soit transmise afin que la communauté internationale prenne conscience de la situation en Haïti ainsi que les organisations syndicales.

Aujourd’hui encore, des groupes d’étudiants se sont rassemblés, apparemment décidés à réclamer jusqu’au bout le départ du président Aristide.

En tant qu’enseignants, nous avons exprimé notre tristesse de voir des lieux du savoir saccagés, surtout dans un pays où l’accès à la culture est difficile, et notre solidarité envers le recteur et les étudiants. C’est l’avis de la majorité des enseignants du lycée Alexandre Dumas.

SGEN-CFDT F.O.   APLAD SNES
M. Ribot-Vila B.Guichard   C.Jadotte P.Lebigre

N., témoin des affrontements du 5 décembre. (pour des raisons de sécurité, l'identité ne peut être diffusée)

Je vous remercie pour votre message et apprécie l'intérêt que votre syndicat porte aux graves violences faites le 5 décembre dernier aux étudiants de la faculté des sciences humaines de Port-au-Prince, ainsi qu'au recteur de l'université. Plusieurs dizaines d'étudiants ont été blessés. On ignore encore s'il y a eu des victimes. Le recteur de l'université, M. Pierre Marie Michel PAQUIOT a été sauvagement agressé et a eu les 2 jambes brisées à la hauteur des genoux. Une grande partie de la faculté des sciences humaines a été mise à sac par les membres des "organisations populaires", qui sont les soutiens officiels du pouvoir en place dirigé par le président Aristide..

L'ambassade de France a émis une très vive protestation auprès des autorités.

Tous les observateurs de ces graves incidents ont confirmé la protection que la police haïtienne a apportée à ces nervis du régime pendant qu'ils agressaient les étudiants et le recteur au sein même de la faculté. Cette manifestation, d'une violence inégalée jusqu'à ce jour, fait suite à une montée grandissante de l'agitation sociale et politique qui règne dans le pays.

Nous sommes intervenus pour que des messages de sympathie ou de soutien soit adressés, éventuellement par notre intermédiaire, auprès du recteur et des étudiants.