Intervention de Bernard Kouchner prononcée à l’occasion des Journées du Réseau français à l’étranger 2009

(Paris, 16 juillet 2009)

Madame la Ministre,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,

L’année dernière, je vous disais combien je crois en la diplomatie d’influence dont vous êtes les acteurs et les responsables. Je vous disais que cette « diplomatie d’influence » est une diplomatie, une entreprise et comprend des implications absolument capitales à mes yeux.

L’année écoulée -au cours de laquelle de nombreuses crises ont menacé l’équilibre, la prospérité, la sécurité et même la liberté de notre planète - a renforcé ma conviction. Nous avons besoin plus que jamais, de cette diplomatie de solidarité et d’influence, et c’est vous qui en êtes en charge.

L’année écoulée a également renforcé ma détermination à donner à cette diplomatie d’influence un élan nouveau. Je me suis engagé, vous le savez, dans sa rénovation. J’ai créé, nous avons crée sous la direction de Christian Masset, une direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats. Je remercie Christian Masset de s’être attelé à la mise en place de cette direction. Nous n’en sommes qu’au début et les développements, que nous percevons déjà, sont tout à fait encourageants voire même enthousiasmants à nos yeux. Et la réforme se poursuit avec la création prochaine de deux agences.

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Mesdames et Messieurs, Chers Amis,

A l’heure où je vous parle dans ce Palais des Congrès de Paris, une jeune Française innocente qui, comme vous, cherchait à expliquer la culture de son pays, de notre pays et à se mettre à l’écoute de ceux qui l’accueillent, est toujours retenue dans une prison iranienne. Nous suivons la situation de Clotilde Reiss en permanence, avec une attention de tous les instants, et nous nous mobilisons pour sa libération, comme pour celle d’autres compatriotes emprisonnés.

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Monsieur le Directeur général, les événements auxquels nous avons assisté, auxquels nous avons participé au cours de cette année, avaient fortifié ma conviction que la "diplomatie élargie" que nous menons, que vous menez est indispensable.

L’année écoulée a été marquée par quelques crises, en particulier la crise économique. Ces crises rendent nécessaire une réponse collective et impose une solidarité renforcée. C’est ce à quoi vous travaillez à travers l’aide au développement comme à travers la recherche d’une nouvelle gouvernance économique globale. Elles obligent aussi notre pays à améliorer son attractivité.

Les crises ont été aussi bien politiques qu’économiques, en Afrique, dans le Caucase, au Proche-Orient, en Afghanistan, en Irak ou encore en Iran, en Somalie. Dans bien des cas, nous avons affaire à des convulsions de sociétés confrontées à la modernisation, confrontées à la quête d’identité et confrontées à elles-mêmes. Dans ces sociétés, bien des groupes ont tenté d’instrumentaliser la culture. Présentant la modernisation comme une "occidentalisation", ils cherchent à dresser les civilisations les unes contre les autres et à faire de la culture une nouvelle ligne de fracture. La force de notre diplomatie, c’est de pouvoir leur répondre par la culture comme espace de dialogues et d’échanges. Par la culture, mais aussi par l’information et la communication ! Par l’offre d’une éducation libérée de préjugés !

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Mesdames et Messieurs, Chers Amis,

Cette diplomatie d’influence et de solidarité, que vous animez, a un objectif : permettre à notre pays d’être plus fort dans un monde plus sûr, plus démocratique et plus prospère. Et pour cela, il faudrait parler longuement de la crise qui a frappé un capitalisme débridé et qui exige une régulation, que nous mettrons quelques mois voire certainement quelques années à mettre en œuvre. La France, avec l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique, s’y attelle avec détermination.

L’objectif de ce monde plus prospère et plus démocratique est celui autour duquel nous devons mobiliser la société française dans la diversité de ses composantes : les milieux culturels, les médias, les établissements d’enseignement et de recherche, la science - que je perçois comme l’un des instruments majeurs de notre culture - les administrations, les ONG, les collectivités locales... Nous devons mobiliser la société française vers l’offre de France.

Une France plus forte, c’est une France dont les universités, les centres de recherche et d’innovation sont plus attractifs. La feuille de route, même si elle est difficile à mettre en œuvre, est simple à exprimer : accroître le nombre d’étudiants étrangers en France, intensifier les échanges scientifiques internationaux, accompagner à l’étranger nos pôles de compétitivité.

Mais une France plus forte, c’est aussi une France dont la langue et la culture rayonnent davantage. Dans ce domaine, où nos grands concurrents sont actifs, vous devez chercher à renforcer la présence française dans les grands débats d’idées, sur les scènes artistiques, sur le marché des industries culturelles. La France plus forte de sa langue et de sa culture doit accompagner nos médias globaux, qui portent loin de nos frontières la pluralité et la richesse de nos points de vue sur le monde. Vous devez mener une action résolue pour améliorer la place du français dans les systèmes éducatifs étrangers, dans les institutions européennes et internationales. Vous devez consolider et développer notre réseau de lycées français, dont la valeur est unanimement reconnue et que je visite avec bonheur le plus souvent possible.

Cette France rayonnante, que j’appelle de mes vœux, doit œuvrer pour une croissance partagée et durable. Elle doit rester un acteur de premier plan de la solidarité internationale. Ses objectifs en la matière, en dépit de ces temps de crises et de financements limités, demeurent bien entendu les Objectifs du Millénaire pour le développement. Mais, elle doit aussi pouvoir réagir aux urgences comme les crises alimentaires ou les pandémies, et préparer l’avenir à plus long terme en travaillant sur le changement climatique, la biodiversité, les ressources en eau et en énergie. Elle doit garder une ambition forte et développer le recours aux financements innovants. Elle doit aussi mieux concentrer son aide sur les pays qui en ont le plus besoin.

C’est aussi un monde de libertés que la France doit promouvoir. Partout, à commencer dans les pays où les droits sont bafoués, nos ambassades deviennent des "maisons des droits de l’Homme", ouvertes à la société civile, à l’écoute des attentes des défenseurs des droits de la personne humaine. Et je pense, avec beaucoup d’émotion et de colère, à l’assassinat hier de Natalia Estemirova, collaboratrice de l’ONG russe "Mémorial" à Grozny, en Tchétchénie.

Enfin, la France doit œuvrer pour un monde plus sûr. Je crois que votre direction générale et vos services d’ambassade peuvent nous aider à mettre en place des modes de coopération spécifique avec les pays en crise ou en sortie de crise - ce que nous ne faisons pas assez. Ce sujet, qui est celui de la reconstruction d’Etats, de la gouvernance de ces Etats, est un sujet fondamental pour la crédibilité de notre action.

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Mesdames et Messieurs,

Vous le savez, je me suis engagé dans la rénovation de notre diplomatie d’influence. Cette rénovation s’inscrit dans le cadre plus large de la réforme du ministère des Affaires étrangères et européennes.

Le premier acte de cette réforme a eu lieu. Nous avons créé, et c’était attendu depuis longtemps, cette direction générale de la mondialisation, qui prend en charge les sujets globaux comme le développement, l’environnement, la santé, l’économie du savoir, la diversité culturelle, la réflexion sur les religions, la régulation financière, sujets qui jusqu’ici étaient suivis d’une manière dispersée entre plusieurs directions du ministère. On ne pouvait pas raisonner sur le monde qui a changé sans prendre en considération, au moins dans la réflexion voire dans la compréhension, non seulement l’ensemble des sujets que j’ai cités, mais également bien au-delà des sujets que je n’ai pas cités. Il faut les prendre en considération si l’on veut une explication et si l’on veut trouver des directions satisfaisantes à notre diplomatie, qui n’est pas là pour fonctionner sur elle-même, qui n’est pas là pour pérenniser une réflexion qui daterait du 19e siècle ou du 20e, mais du 21e siècle.

Cette direction générale constitue, je l’ai dit tout à l’heure, la tour de contrôle de notre diplomatie d’influence et de solidarité, le lieu où sont définies nos stratégies en la matière. Cette direction générale, créée le 16 mars dernier, est installée à la Convention. Je fais également allusion à ces changements qui ont affecté le quotidien de notre ministère. Je remercie les agents de ce ministère de l’avoir fait sans heurts ! Par ailleurs, il y a La Courneuve, que je vous invite à visiter, où la diplomatie s’enseigne et où les archives seront regroupées. Cette réforme est déjà une réussite et une fois de plus je remercie tous ceux qui participent à cette direction. Un grand pays comme la France se devait de prendre la mesure des changements qui affectent la société internationale et de créer cette direction des enjeux globaux. C’est chose faite.

Le second acte de cette réforme s’ouvre maintenant. Il ne concerne pas l’organisation interne du ministère, mais l’incarnation de notre action à l’extérieur. Sur deux fronts centraux. Celui de l’attractivité et de la mobilité d’une part, et celui de la culture d’autre part.

L’attractivité et la mobilité d’abord. Nous devons mieux promouvoir l’enseignement supérieur français, mieux accueillir sur notre territoire les étudiants, mais également les chercheurs, les experts étrangers, et mieux projeter nos propres experts hors de nos frontières. Nous avons besoin pour cela d’un opérateur avec une visibilité et une masse critique propres à affronter la compétition internationale. Un opérateur de la mobilité universitaire, scientifique et technique sera donc créé, sous la forme d’un établissement public industriel et commercial par regroupement d’Egide, CampusFrance et France Coopération Internationale (FCI). Il aura notamment à gérer les bourses, que nous voulons plus nombreuses, les invitations, les missions, gérer les réponses aux appels d’offres internationaux en matière d’expertise. Dans l’environnement international compétitif, dont j’ai parlé tout à l’heure et que la crise renforce- y compris dans les pays en développement qu’il ne faut pas négliger, au contraire qu’il faut associer aux solutions - la compétitivité est quelque chose à laquelle nous devons nous attacher. C’est une réalité, nous perdons des opportunités si nous ne sommes pas compétitifs y compris des marchés scientifiques, culturels... Je voudrais juste vous donner l’exemple dans le domaine du VIH/Sida où la France a été pionnière. En 1998 à Abidjan, nous avons proposé pour la première fois que l’on soigne des malades qui n’étaient pas nos malades. Nous avons bousculé les habitudes en offrant un début de traitement thérapeutique à des malades qui se trouvaient hors de nos frontières. Il s’agissait d’une action extérieure en matière de santé publique. Ce fut un bouleversement, c’est ainsi que l’on a créé, sous l’égide des Nations unies, le Fonds Mondial ou encore le groupement d’intérêt public, ESTHER... ce qui fait que la France est désormais le plus grand donateur par tête d’habitant du Fond Mondial, avec 300 millions d’euros. Néanmoins, notre faible compétitivité nous a fait perdre par la suite un certain nombre de projets dans le domaine médical. Il faut que, dans tous ces domaines, nous nous replacions au premier rang, nous qui avons initié ces pratiques. Il faut vraiment que nous soyons compétitifs. Cette agence devra être mise en place en 2010.

Venons-en à l’action culturelle. Je souhaite remettre celle-ci au cœur de notre diplomatie et donner un nouvel élan à cette offre culturelle qui doit correspondre encore une fois à des demandes précises à travers le monde. Il n’est pas nécessaire d’offrir à tout le monde le même spectacle français ou la même troupe de théâtre, parce que les demandes varient et parce que, surtout, nous devons tenir compte des demandes culturelles pour nous les approprier intérieurement, intellectuellement, pour être avec nos collègues du ministère de la Culture et de la Communication à l’écoute des cultures à travers lesquelles nous essayons non pas d’influencer mais de faire connaître la nôtre. Il en va de notre influence dans le monde et du rayonnement de nos valeurs. Cette demande de France qui est beaucoup plus grande que la réponse que nous fournissons pour le moment, est étonnante. Il est intéressant de constater qu’à chaque fois qu’un problème se pose, problème qui exigerait ou qui exige des réponses globales ou locales, il y a toujours des personnes pour demander l’avis de la France, pour comprendre nos positions, les partager ou les refuser. Il est vrai que certaines propositions de la France ont ainsi petit à petit fait leur chemin et s’imposeront, j’en suis sûr, au cours des années. Il en va ainsi dans le domaine économique, comme dans le domaine culturel, scientifique... Cependant, soyons lucides. Notre offre n’est pas à la hauteur de la demande, notre action culturelle extérieure souffre de plusieurs handicaps :

 d’abord, ses moyens institutionnels sont dispersés : CulturesFrance, dont je salue Olivier Poivre d’Arvor, a le statut d’association, ce qui n’est pas satisfaisant ; sa relation avec les attentes du terrain, comme avec les objectifs de l’action extérieure doit être améliorée. Qui connaît mieux le terrain que vous ?

- les femmes et les hommes qui travaillent dans la diplomatie culturelle, malgré leur grande qualité, ne bénéficient pas de véritables carrières ni de vraies formations, alors que leurs missions sont de plus en plus exigeantes ;

- les moyens financiers se sont érodés alors que les attentes sont grandissantes ; la rallonge budgétaire vise à enrayer cette érosion, mais, à terme, il nous faut trouver des ressources nouvelles.

Ce constat fait l’objet d’un large consensus. Il a été notamment partagé par les parlementaires dont les travaux sont récents, les diplomates et les milieux culturels. Quand je dis diplomates et milieux culturels, c’est que je pense qu’il faut travailler ensemble, que les diplomates ne sont pas les dépositaires éternels de la culture, chargés de la bonne parole à l’extérieur et que les culturels ne sont pas les seuls à travailler dans la culture, à inventer dans la culture et à se comporter de même manière. C’est ensemble qu’il faut faire les choses. S’explique, dès lors, le profond malaise qui, depuis des années, s’est emparé du réseau culturel français à l’étranger et le changement, de mon point de vue, est véritablement nécessaire.

Un coup d’arrêt a été donné à l’érosion budgétaire. J’ai obtenu, en cours d’année, un supplément budgétaire de 40 millions d’euros. C’est un premier pas, qu’il faudra consolider.

J’ai confié une mission de préfiguration, - largement ouverte aux acteurs culturels, avec des groupes très différents - au secrétaire général du ministère, Pierre Sellal. La composition de cette mission, je l’ai souhaité, reflète cette diversité du monde culturel français. Dans ce cadre, Pierre Sellal a écouté, dialogué, et m’a fait part des attentes des professionnels de la culture, et je l’en remercie profondément.

Sur cette base, j’ai décidé de doter notre diplomatie d’influence d’un opérateur culturel à la hauteur de ses ambitions.

Avec quel statut ? Cette agence, qui se substituera à l’association CulturesFrance, sera dotée du statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC). Quand je dis EPIC, je ne veux pas entendre dire que cette externalisation est une privatisation. J’ai déjà participé à la mise en place d’agences publiques, elles demeurent publiques et elles ne sont pas privatisées. Ce qui caractérise un établissement public, c’est le mot public, cela demeure absolument la règle. Ainsi, en ayant le statut d’EPIC, l’agence aura plus de facilité à lever des fonds émanant du secteur privé. Elle s’ancre dans la sphère publique tout en s’ouvrant au dialogue avec d’autres partenaires. Lorsque je dis nous, c’est en effet au ministère des Affaires étrangères et européennes que je pense, mais aussi bien sûr au ministère de la Culture et de la Communication.

Avec quelles missions ? L’agence agira dans le champ culturel entendu au sens large et dans le débat d’idées ; elle soutiendra aussi le développement des expressions culturelles des pays du Sud. Je tiens beaucoup à ce point, il est essentiel de s’inscrire avec nos amis dans un mouvement de partenariat, de compréhension commune ; la solidarité ne se fait pas toute seule, il faut être au moins deux. Dans le domaine culturel, c’est la même chose. Nous voulons favoriser l’échange entre les cultures. Personne plus que la France et aucune institution autre que celle qui propose la culture française, ne peuvent le faire d’une meilleure manière. C’est cela que l’on nous demande, c’est cela que l’on entend d’un bout à l’autre du monde : « Que faites-vous, on vous attend ! ». Malgré tous vos efforts, la réponse peut-être améliorée !

Avec quel pilotage ? Afin de garantir la cohérence de l’action extérieure de l’Etat, le ministère des Affaires étrangères et européennes entend exercer le pilotage de cette agence, naturellement en étroite association et à parité avec le ministère de la Culture et de la Communication, qui sera représenté de façon équilibrée au sein de son Conseil d’administration. Je souhaite aussi que nous travaillions de manière très précise pour que son action soit inspirée et nourrie dans le cadre d’un Conseil d’orientation. Ce Conseil d’orientation est une idée parlementaire, que nous allons explorer. Il faut que ce Conseil d’orientation soit fait de telle manière que les offres venues du terrain, des postes ne soient pas négligées. On ne peut pas seulement diriger à partir de Paris. Il faut tenir compte de l’esprit de novation nécessaire pour s’adapter aux mouvements de ce monde et particulièrement du monde de la culture.

Pour mettre en œuvre ces ambitions, le réseau est un outil capital. Les attentes qui lui sont adressées sont très fortes, les professionnels comptent beaucoup sur lui ; il est un atout essentiel. Tous sont d’accord sur le fait que les relations entre lui, l’agence et les ambassadeurs doivent être substantiellement renforcées et améliorées, je dirais même inventés -c’est la base de la concertation que nous devons mener ensemble. Mais, faut-il que l’agence s’appuie sur un réseau d’établissements qui demeurent des services d’ambassade, dans le cadre d’une relation rénovée, ou faut-il que l’agence que nous créerons intègre le réseau ? Diverses options existent, qui ont chacune leurs avantages mais aussi leurs inconvénients. Il nous faut travailler là-dessus très précisément, dans des domaines qui n’ont pas été assez explorés dans les rapports parlementaires, par le Livre Blanc, par la RGPP... Il faut que nous réfléchissions ensemble. Je veux considérer les possibilités qui sont offertes avec le plus d’honnêteté possible au service d’abord de la France, d’abord de l’offre culturelle de notre pays, même si c’est au dépens de certains intérêts, mais je veux servir le ministère des Affaires étrangères et européennes, comme je l’ai toujours fait et comme je m’attache avec fierté, honneur à le faire. Il faut qu’ensemble nous déterminions, un format, des limites, des exigences, un fonctionnement et ce n’est pas aussi simple.

Pour aborder ce type de questions, importantes, et plus généralement pour mettre en œuvre la réforme - dont je n’ai pas décidé qu’elle devrait être faite une fois pour toutes en octobre, dont je n’ai pas décidé qu’elle devrait être faite pour la conférence des ambassadeurs au mois d’août, il y a des possibilités d’essais, d’expérimentations- je souhaite ouvrir avec vous une nouvelle phase de consultations interne au ministère des Affaires étrangères et européennes associée au ministère de la Culture et de la Communication. Nous avons déjà beaucoup parlé avec Frédéric Mitterrand, ce travail sera fait en commun. La culture est un organisme vivant, en changement permanent. Il y a aussi des industries culturelles qui n’ont pas besoin de la représentation diplomatique pour s’épanouir. Nous, nous préférons que la représentation diplomatique soit exigée et exigeante, qu’elle s’offre comme un outil indispensable, elle l’est pour notre représentation extérieure politique, elle doit l’être aussi pour la culture avec le ministère de la Culture et de la Communication. Ces consultations doivent, donc, être ouvertes à tous, qu’ils se situent à Paris ou dans le réseau, à tous les agents qu’ils soient titulaires ou contractuels, diplomates ou non. Je confie cette consultation à Mme Delphine Borione, ambassadeur à Pristina, qui a été en charge de la culture à Rome et que je nommerai comme directrice des politiques culturelles et du français à la DGM. 

Je ne vais pas m’attarder sur les sujets à traiter qui sont extrêmement nombreux et dont chacun mérite une attention particulière pour trouver une réponse. Il faut combiner l’autonomie de la future agence avec des priorités de l’action culturelle également définies dans les postes et le rôle d’impulsion des ambassadeurs. Le problème se pose d’une demande qui est de plus en plus large et d’une réponse qui est trop étroite. Les politiques culturelles et du français, responsabilité de Delphine Borione, exigent une réponse nouvelle, nous le savons tous. Il y a une double attente, une attente des professionnels de la culture vis-à-vis du ministère, professionnels au sens le plus large dont il conviendra aussi de délimiter l’acceptation. Et il y a une attente des publics étrangers vis-à-vis de la culture française, une attente inassouvie. Il y a, donc, un stratège, le ministère, un opérateur qui serait l’agence avec toutes ses composantes indispensables et nécessaires et puis un catalyseur, c’est-à-dire le réseau et l’ambassadeur. Catalyseur que l’on pourrait qualifier de capteur, d’inventeur, de rassembleur. Il faut que l’on travaille ensemble à partir de votre expérience sur cet équilibre, sur cette sensibilité qui fait tout le prix de vos interventions depuis longtemps. Ajuster tout cela n’est pas simple.

Lundi prochain, le projet de loi sur l’action extérieure de la France sera présenté en Conseil des ministres, afin d’être inscrit à l’ordre du jour du Parlement. Il s’agira d’une étape essentielle, puisqu’il créera ces deux opérateurs -mais le contenu et le mode de fonctionnement resteront à déterminer puisque cela se fera par décrets.

Quand je parle de réseau, je veux parler à chacun d’entre vous, c’est la mécanique humaine dont nous dépendons pour la réussite ou l’échec de ce projet. Tout cela doit changer vers le haut et non pas être raboté ! Chacun d’entre vous est différent, chacun d’entre vous est indispensable. Cette agence de la culture existera, nous la créerons si nous sommes capables de lui donner un contenu, une efficacité, une approche humaine sensible aussi bien vis-à-vis de nos postes que, et surtout, vis-à-vis des cultures dans les pays où nous nous déployons. Le partenariat culturel existe depuis longtemps, mais nous faisons face à une invention parce que, dans la demande de France, est contenue cette préoccupation des autres, cette écoute, cette attente, cette disposition à écouter les autres et pas seulement à projeter nos réussites culturelles, nos organisations, nos propositions culturelles extrêmement appréciées.

Il s’agit d’un vrai problème politique. La politique extérieure de la France ne servira à rien ou elle ne sera pas suffisante si nous n’y ajoutons pas une politique culturelle qui la projette, qui en est une part, qui l’explique. Nos concurrents valeureux, beaucoup mieux dotés- je pense au British Council, au Goethe Institute, à l’Institut Cervantès...- le savent. La concurrence, le moins que l’on puisse dire, est rude et il faut pouvoir y répondre de façon positive. Je suis bien conscient que l’on ne peut s’en tenir à la création de structures, aussi novatrices seraient-elles, au cœur de notre action où il y a les hommes, les femmes, les moyens. J’ai quelques moyens, j’espère les pérenniser, mais je ne peux relancer l’action culturelle sans vous, sans vos avis, sans votre participation.

Je voudrais aussi parler des hommes pour finir sur quelque chose de positif et indispensable. La gestion des ressources humaines des agents du réseau culturel doit être profondément renouvelée et modernisée, sur trois points dont les discussions de la mission de préfiguration de Pierre Sellal ont montré à quel niveau les préoccupations se situaient :

- d’abord, le recrutement des agents du réseau ;

- ensuite la formation des agents : un plan ambitieux va être mis en place avec vous, financés pour la formation initiale comme pour la formation continue qui n’épargnera personne y compris les ambassadeurs ;

- et la gestion des carrières de ces agents, l’objectif étant de constituer et de conserver un vivier d’agents motivés et compétents, et de leur assurer un parcours professionnel dans leur métier, en concertation avec tous les acteurs de la politique culturelle extérieure.

Cette formation a commencé à La Courneuve, elle va être étendue, vous participerez à sa définition et vous en serez les bénéficiaires.

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Mesdames et Messieurs, Chers Amis,

L’Institut français, dont l’appellation n’est pas encore définitive (je pense également à Latitude France), représente et représentera l’agence sur le terrain sous l’autorité des ambassadeurs. Comment définir cette autorité, c’est aussi ce que nous allons explorer, en fonction des postes et des problèmes qui se posent. Il faut prendre ces problèmes avec vous à bras le corps. Je ne veux pas décider sans votre participation et sans la consultation interne qui peut être longue mais qui est indispensable.

100 ans après la création de la diplomatie culturelle, je crois que le temps est venu de lui donner un nouvel élan. Il y a 100 ans, tiens ! le président du Conseil s’appelait Clemenceau. C’est l’homme, d’ailleurs assez courageux, qui disait, vous vous en souvenez peut-être : « Il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire ».

Cette tâche, qui est la vôtre et la mienne, n’est pas facile mais elle doit être collective. Nous sommes engagés dans un grand chantier. Pour réussir, c’est-à-dire confirmer cette diplomatie d’influence dans la performance et dans la réussite, nous avons besoin de chacun d’entre vous. C’est exaltant et nécessaire. Ce n’est pas seulement la France qui nous attend à ce tournant-là de notre politique, de notre diplomatie et de notre influence, je vous l’assure et vous le savez bien, c’est une partie importante du monde.

Je vous remercie.


Dans Le Monde : M. Kouchner, contraint de retarder de "quelques mois" sa réforme du réseau culturel français à l'étranger