JEUDI 24 AOÛT 2006

LYCÉES FRANÇAIS DE L’ÉTRANGER (4/5)


Le tatouage éternel du Liceo Franco Mexicano

Quatre générations se sont succédé dans ce lycée prestigieux où les élèves, suivis de la maternelle à la terminale, se créent des réseaux qu’ils conservent toute leur vie


MEXICO

De notre correspondant

Chaque année, avant de passer leur bac, les élèves de terminale du Lycée franco-mexicain (LFM) organisent une grande fête d’adieu, avec mariachis, photos souvenir et beaucoup de larmes. Un rituel pour ces enfants qui, depuis la maternelle, se côtoient, s’entraident et se lient d’amitié mais qui doivent alors se séparer : « C’est à ce moment- là que l’on prend vraiment conscience que l’on va être tout seul pour la première fois », explique Arturo. « C’est comme de laisser sa famille », surenchérit Jorge. Pour Julie, « la seule chose sûre, c’est que l’on restera toujours du lycée français, c’est une sorte de tatouage dont on garde la marque toute la vie, un signe de reconnaissance, l’appartenance à un clan, une manière de penser qui nous sera commune. »

Le Liceo Franco Mexicano a fêté ses 58 ans, « il est en route pour le centenaire », déclare Claude Le Brun, le président du Conseil des directeurs qui gère cette association civile depuis la mort de son père. Quatre générations, des grands-pères, des pères, des fils et des petits-fils, se sont succédé dans ce bâtiment austère et fonctionnel dont la façade moderniste des années 1950 n’a pas changé d’un iota. Situé à l’origine à l’angle des rues de la Démocratie et de La Havane, le lycée s’étend aujourd’hui sur 8 000 m2 entre les avenues Homère et Horace. Il fait partie des cinq ou six meilleures écoles du Mexique. Son équipement high-tech en fait sa spécificité. Il possède 300 ordinateurs, un réseau Intranet avec fibres optiques structurées uniques au Mexique, fabrique ses propres programmes, etc. Toutes les salles de classe insonorisées sont « intelligentes » avec tableaux électroniques et moniteurs qui permettent des conférences avec d’autres établissements comme l’annexe de Coyoacan, au sud de la ville et bientôt avec l’école Molière de Cuernavaca (80 km de Mexico).

Mais la fierté du lycée réside dans son institut technologique (inauguré par le général de Gaulle en 1964). Montré du doigt par Paris car c’est un enseignement extrêmement coûteux, il est parvenu à trouver d’autres sources de financement pour maintenir ses BTS qui forment les cadres spécialisés que réclament les entreprises françaises installées au Mexique. Pour la surveillance – la sécurité est une des priorités du lycée – 23 caméras couvrent tous les points sensibles ou secrets de l’établissement, qui possède également une sous-station électrique lui permettant de régler son voltage et de réguler sa consommation électrique.

Pour le sport, le lycée possède depuis 1980 un immense terrain de plusieurs hectares à l’ouest de Mexico, en dehors de la pollution. Avec un budget annuel de 13 millions d’euros, c’est une véritable PME qui gère 250 professeurs et 3 000 élèves.

Situé à l’est de Mexico, dans Polanco, un des quartiers les plus prestigieux de la mégapole, le LFM est une institution où sont passés les plus grands noms de la vie mexicaine : l’ex-président Carlos Salinas de Gortari, Marcelo Ebrard, le nouveau maire de Mexico, une quantité de ministres, de procureurs, de grands avocats mais aussi dans les arts, la chanteuse Thalia, la romancière Guadalupe Loeza ou dans l’automobile, les trois frères Rodriguez qui ont remporté plusieurs fois les 24 heures du Mans.

Ce n’est pas une école à la portée de toutes les bourses : c’est une des plus onéreuses de la capitale, même si le prix de la scolarité n’a pratiquement pas bougé en cinquante ans. « Une année scolaire a toujours coûté le prix d’une coccinelle VW, soit environ 4 500 € par an, » déclare Claude Le Brun. Pour Oscar S., qui a ses trois enfants au lycée et qui, chaque mois, a du mal à sortir 1 500 €, c’est démesuré dans un pays où 60 % de la population vit dans la pauvreté. De nombreux Français estiment que la subvention versée par leur gouvernement au lycée devrait leur permettre de scolariser gratuitement leurs enfants. Pour les Mexicains, le lycée est plutôt moins cher que le Collège américain ou que l’anglais Greengates, précisément grâce à l’aide financière apportée par la France. « C’est un juste prix à payer pour une éducation intégrale et française, déclare Soledad Martinez, ancienne élève. J’ai mis à mon tour mes enfants au lycée car je sais qu’ils auront une approche du monde très profitable avec cette culture qui n’est pas la nôtre. De plus, en effectuant sa scolarité au lycée, on se crée un réseau d’amitié qui sert toute la vie car il y a une même façon d’aborder les problèmes et une même vision des choses qui fait qu’on se reconnaît entre anciens élèves. » Le LMF est un lycée des élites mais pas des élites financières, se défend Claude Le Brun, qui soutient qu’un système de bourses permet à un élève sur quatre de ne pas payer l’intégralité des frais de scolarité. De la maternelle jusqu’en terminale, l’élève est chouchouté, protégé, câliné par le personnel recruté localement qui connaît les élèves depuis qu’ils ont 3 ans. Pour certains, c’est un engagement total. Nacho, le  préparateur des classes de biologie et de chimie, est tout à la fois le conseiller, l’arbitre des matchs de football, celui à qui on peut laisser sa mascotte pendant les vacances ou confier ses peines de coeur. Porte ouverte, portable branché, il est un super-papa que les élèves emmènent dans leurs fêtes pour éviter les bagarres ou ramener celui qui aura trop bu. L’alcool est en effet au Mexique un problème de société plus inquiétant que la drogue et le lycée n’y échappe pas plus que les collèges américain, espagnol ou allemand. À partir de 14 ans, les garçons boivent de façon excessive, au cours des fêtes lycéennes qui s’organisent dans les maisons privées ou dans les boîtes de nuit. Un problème qui inquiète assez Claude Le Brun et le proviseur Pierre Thomas pour qu’un poste d’éducation à la santé ait été créé : « Nous considérons que se taire serait un acte de non-assistance à personne en danger. »

La présence d’un psychologue permet d’aborder le thème de l’alcoolisme, de la sexualité mais aussi celui de l’anorexie, qui touche un grand nombre de jeunes filles.

Cette écoute permanente fait la qualité de cet établissement où tout le monde se connaît et se reconnaît. « Nous cherchons à valoriser élèves, professeurs, employés et parents afin qu’ils soient tous membres de la communauté. Il n’y a qu’à voir le succès des fêtes de fin d’année, dit Claude Le Brun. Le mélange des origines, des religions, des classes sociales crée un brassage multiculturel que nous favorisons et que nous valorisons. C’est sans doute le meilleur enseignement de ce lycée. »

PATRICE GOUY


« Une année scolaire a toujours coûté le prix d’une coccinelle VW, soit environ 4 500 € par an. »

Le tatouage éternel du Liceo Franco Mexicano

Quatre générations se sont succédé dans ce lycée prestigieux où les élèves, suivis de la maternelle à la terminale, se créent des réseaux qu’ils conservent toute leur vie

Tout petits, les élèves sont suivis et bichonnés par le personnel recruté localement, qui s’occupe d’eux jusqu’au baccalauréat.

PATRICE GOUY

Des bourses peu nombreuses

C Le gouvernement français vient en aide aux plus démunis, mais les bourses se comptent sur les doigts de la main car l’enveloppe est extrêmement limitée. Une deuxième bourse dite « au mérite » (il faut avoir une moyenne de 12 sur 20) est attribuée à 5 % des élèves qui sont dans la section mexicaine.

La troisième est accordée par le conseil du lycée aux élèves qui ont un problème familial ponctuel (chômage ou décès de l’un des parents). Enfin, le ministère de l’éducation mexicain et le lycée payent à hauteur respective d’un tiers et deux tiers la scolarité d’une soixantaine d’élèves de milieux très défavorisés qui viennent du système public mexicain. Il s’agit d’une bourse pour des élèves d’excellence qui préparent des bacs techniques ou des BTS. « C’est une sorte d’ascenseur social. En quatre ans, ces jeunes gens apprennent le français et décrochent généralement des mentions à leurs examens. C’est notre fierté », déclare Pierre Thomas, le proviseur, qui souligne que le lycée est au troisième rang national pour son niveau des BTS.

D’excellents résultats au bac


Dominique Millet, le français en chantant

Sa passion est la chanson française. Dominique Millet, la cinquantaine, vit au Mexique depuis trente ans. Elle est arrivée en bateau à Veracruz avec, pour tout bagage, la vieille cantine de son grand-père remplie de ses 33 tours. Aussitôt arrivée à Mexico, elle passe un diplôme de FLE (français langue étrangère), tout en écrivant des critiques de films dans les festivals d’art et d’essai pour payer un séjour qu’elle pensait provisoire. Passionnée de chanson française, elle est embauchée comme recrutée locale à l’Institut français d’Amérique latine (Ifal). Très vite, elle intègre la chanson à l’enseignement traditionnel de la langue. « Mes élèves m’ont toujours remerciée de leur avoir fait découvrir la France et notre langue à travers ses auteurs et ses interprètes. Une chanson est un témoin de l’air du temps et des préoccupations inhérentes à chaque époque. Au-delà de l’enseignement traditionnel, l’analyse des chansons permet aux élèves de comprendre plus profondément la mentalité et le  mode de pensée des Français. »

Il y a deux ans, après un Capes de lettres, Dominique Millet a rejoint l’équipe des 250 professeurs du Lycée franco-mexicain. À la rentrée, on lui a confié la tâche délicate, mais très gratifiante, des secondes spéciales composées des boursiers mexicains qui vont s’intégrer au système français, et qui doivent en un an apprendre ce que les autres apprennent en quatre ans. « Je pense que mon expérience en FLE sera très utile pour traiter les difficultés entre les deux langues, mais je compte aussi utiliser la poésie et la chanson.

» L’enseignante ne craint pas d’aborder avec ses élèves l’humour de Bobby Lapointe, la philosophie de Georges Brassens ou les cris de colère de MC Solaar : autant de facettes sans lesquelles une culture ne peut être véritablement appréhendée.

P. G.

« L’analyse des chansons permet aux élèves de comprendre la mentalité et le mode de pensée des Français.


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