L’EXCLUSION SOCIALE
DANS LES COMMUNAUTÉS FRANÇAISE À L'ÉTRANGER

 

AVANT PROPOS

 

 

1. Un rapport issu de la loi n° 98-657 relative à la lutte contre les exclusions

    La loi n°98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, publiée au Journal officiel du 31 juillet 1998, dispose dans son article 1er : "La lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l'ensemble des politiques de la nation (...)".

    Les Français établis hors de France font partie intégrante de la nation française et sont donc concernés par cette loi tel que le principe en a été posé dans le 1er alinéa de cet article.

    Par ailleurs, l'alinéa 2 de cet article rappelle également le principe de territorialité applicable aux mesures législatives : "la présente loi tend à garantir sur l'ensemble du territoire l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l'éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l'enfance".

Les Français de l'étranger confrontés à l'exclusion se trouvent donc dans une situation particulière. Membres à part entière de la nation française, l'Etat doit garantir leurs droits mais ne peut leur appliquer les mesures législatives et réglementaires de "droit commun", puisqu'ils ne résident pas en France. Il appartient donc au ministère des Affaires étrangères de transposer toutes les mesures nécessaires permettant de répondre efficacement à ce type de situation.

    L'alinéa 7 de l'article 1 prévoit également qu'en ce qui concerne : "la lutte contre l'exclusion des Français établis hors de France, les ministères compétents apportent leur concours au ministère des Affaires étrangères".

    Ce 7ème alinéa garantit la prise en compte de la situation extrêmement difficile et préoccupante de nombreux concitoyens installés à l'étranger, si ce n'est dans cette loi, du moins par voie réglementaire, en application à ce principe, en étendant le champ de compétences à tous les ministères concernés. En effet, le ministère des Affaires étrangères ne dispose pas, à l'heure actuelle, de moyens - financiers et humains - suffisants pour garantir l'accès effectif de tous les Français de l'étranger aux droits fondamentaux. Il ne peut donc pas s'engager dans l'impératif national que constitue la lutte contre les exclusions. Les droits fondamentaux concernés : emploi, logement, protection de la santé, justice, éducation, formation et de la culture, de la protection de la famille et de l'enfance relèvent des ministères de l'Emploi et de la Solidarité, de l'Education nationale, de la Justice.

Enfin, l'article 158 prévoit que : "le Gouvernement présentera au Parlement [ ... ] un rapport sur la situation matérielle des Français de l'étranger confrontés à l'exclusion. Ce rapport sera rendu public."

C'est dans ce sens que M. Lionel Jospin, Premier ministre, a décidé le 18 janvier 1999 de me confier "une mission d'analyse et de propositions concernant la situation matérielle des Français de l'étranger confrontés à l'exclusion."

 

    2.L'exclusion sociale à l'étranger :

      un phénomène réel d'ampleur limitée

    Les communautés françaises établies dans le monde comptent toutes dans leur sein des individus ou des groupes de personnes frappées par des difficultés sociales dont l'éventail va de la misère à une précarité différée en passant par la pauvreté, la gêne, la précarité immédiate, et ce qu'il est convenu aujourd'hui d'appeler l'exclusion sociale.

    Leur existence est tantôt ignorée, tantôt surestimée selon les observateurs et leurs références implicites.

      Une exclusion sociale ignorée

    Cette exclusion est ignorée par les Français de métropole, tant par l'opinion publique que par les milieux de l'administration, de la politique ou des médias. Ils jugent les Français de l'étranger d’après ceux qu'ils connaissent : camarades de promotion passés par la coopération, collègues enviés, en poste à l'étranger avec un statut et des revenus d'expatriés, personnes rencontrées dans les réceptions des ambassades. Cette exclusion sociale est ignorée, et même parfois niée, au défi de l'évidence, dans les communautés elles-mêmes, par les Français les plus favorisés.

    Tout se passe comme si ces personnes en difficulté constituaient une tache honteuse dans le monde "brillant" et quelque peu factice où s'isole la minorité des expatriés qui atteint, par la vie à l'étranger, un niveau de vie et une position sociale très supérieurs à ceux qu'ils auraient en France. Les exclus de la communauté sont ainsi rejetés hors du champ social, hors des "vrais Français" qui les perçoivent comme des résidents permanents "trop intégrés dans le pays", des deuxièmes ou troisièmes générations "qui ne sont plus Français que par intérêt", des métis, des binationaux, des conjoints français d'un mariage mixte.

      Une exclusion sociale majorée

    Cette exclusion sociale est majorée dès lors qu'il est question d'y porter remède en rendant les frontières moins étanches à la solidarité nationale. Qu'il faille donner un revenu minimum de substitution à moins de 5 000 personnes âgées sans ressources, une aide financière à 15 000 familles pour scolariser leurs enfants dans les écoles françaises (payantes) de l'étranger, qu'il puisse être question d'aider quelques dizaines de milliers d'adultes et leurs ayants-droit à accéder à une assurance-maladie, c'est le tollé : le budget de l'Etat est en danger. Il semble alors que le plus grand danger qui menacerait les Français et Françaises établis à l'étranger serait de devenir des assistés.

      Une exclusion sociale réelle d'une ampleur limitée

    Ce rapport a pour but de décrire des phénomènes d'exclusion actuels ou prévisibles dans les communautés et ainsi de les relativiser. Oui, il y a bien des Français qui vivent dans la misère à New-York ou à Abidjan, d'autres qui connaissent la gêne à Buenos-Aires ou à Tunis, et ceux enfin dont l'avenir est obéré par l'absence totale de protection sociale au Proche-Orient, en Afrique ou en Amérique Latine.

    C'est une minorité, mais elle existe et il est possible de la chiffrer à environ 40 000 personnes, pour les Français vivant dans les pays en voie de développement et les pays émergents.

     

    3. Les limites de l'étude de l'exclusion sociale à l'étranger / la diversité

    Les limites de l'exercice sont évidentes. On se heurte tout d'abord à la diversité des communautés et à celle de leur environnement politico-économique et culturel. Quoi de commun entre les Français de Buenos-Aires vieillissants, les Français d'âge actif sans enfant de New-York et la démographie dynamique de ceux d'Abidjan ?


 

    Quoi de commun entre la Française âgée des Pays Bas, isolée mais bénéficiaire d'un revenu minimum décent et de soins de santé gratuits et la vieille dame de Rome dont l'aide sociale italienne est suspendue tous les ans durant le premier trimestre et qui n'a plus de relations auxquelles emprunter de l'argent pour faire la soudure jusqu’au versement différé?

    Les extrapolations seraient trompeuses. La classe moyenne française de Buenos-Aires s'est prolétarisée à une autre période, sur un autre tempo que celle de Santiago du Chili ou de Sao Paulo, avec des conséquences différentes.

    Mais sans se risquer à des généralisations hasardeuses, il est possible de décrire des types de situations, socio-économiques et individuelles, éclairantes pour l'analyse de faits similaires dans des pays de la même zone géographique.

      Le caractère lacunaire des statistiques consulaires

    Autre obstacle majeur, le caractère lacunaire des statistiques consulaires : absolument aucune donnée sur les niveaux de revenus, données démographiques réduites, données socioprofessionnelles non conformes aux normes fixées par le ministère du travail.

    Le manque d'observation des conditions de vie des Français résidant à l'étranger a certainement contribué à forger et entretenir une image très déformée de la réalité.

    Il ne serait pas réaliste de prétendre organiser, pour l'observation de ces populations, un dispositif statistique aussi lourd que celui qui prévaut sur le territoire national. Il serait cependant souhaitable, en particulier pour l'orientation et l'évaluation des politiques menées, de mobiliser efficacement les données de l'administration consulaire. Dans ce cadre, trois sources sont à privilégier : la base de données de l'immatriculation, les dossiers de demande de bourses, et l'information issue de la gestion du CCPAS. Ces sources d'information présentent aujourd'hui des lacunes et des défauts qui en limitent l'utilisation. Ils sont de trois ordres :

      1) Conceptuel (non-respect des nomenclatures officielles, mauvaise prise en compte des événements, différence de contenu d'un poste à l'autre) ;
      2) Manque de sensibilisation et de formation des agents à l'importance de la bonne gestion de la donnée ;
      3) Informatique mal adaptée au traitement de la donnée dans une perspective statistique.

    Même si une perspective d'amélioration de la qualité des données aujourd'hui disponibles et des conditions de leur mobilisation ouvre des possibilités importantes en matière de production de connaissances, elle risque de rester lettre morte si on ne dispose pas de ressources humaines qualifiées. Il est donc indispensable de disposer, au sein de l'administration centrale, d'une structure légère dont les missions couvriraient les besoins d'évolution et d'exploitation des données courantes. Elle pourrait en outre assurer la maîtrise d'ouvrages d'opérations statistiques exceptionnelles destinées à mieux connaître des situations cibles de politiques spécifiques.

 

    4. les choix méthodologiques de ce rapport

    Faute de données sur les communautés françaises à l’étranger, nous avons utilisé la méthode des coups de sonde dans des communautés typées en conjuguant l'observation empirique de l'ensemble des Français en difficulté et l'étude statistique du seul segment de la population sur lequel des données plus précises et relativement fiables sont connues : les familles bénéficiaires d'aides à la scolarité (dites "bourses") pour leurs enfants, élèves du réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

    Pour les cinq communautés retenues, une par grande sous-région (Buenos-Aires, New-York, Tunis, Abidjan, Tananarive), l'étude se fonde d'une part sur les statistiques consulaires, d'autre part sur les entretiens avec les Français en difficulté, avec les personnels des services sociaux des consulats, les élus et les responsables d'associations et enfin sur le traitement statistique des dossiers de bourses scolaires et d'aide sociale. Ces communautés sont nombreuses (de 11000 à 25000 immatriculés), très typées. Elles constituent des populations dont l'observation est significative.

    Il n'a pas été possible d'étudier une communauté d'Asie faute de moyen, de temps et en l'absence de communauté française suffisamment nombreuse. Pondichéry aurait été un cas à la fois trop atypique et trop proche de Tananarive à bien des égards. Par ailleurs ces deux communautés avaient fait l'objet d'un excellent rapport de Jean-Marc de Comarmond en 1983, que l'étude de Tananarive permet d'actualiser. Notons qu’en Afrique, un groupe tel que celui des Franco-soninkés de la vallée du fleuve Sénégal mériterait une étude particulière, mais cela ne constitue pas un "type" de communauté, dans la mesure où celle-ci, constituée d’anciens émigrés en France et de leur descendance, diffère beaucoup des autres groupes de même origine.

    Les phénomènes d'exclusion sociale en Union Européenne sont bien connus. Les Français qui y résident connaissent les mêmes difficultés que leurs hôtes et une étude spécifique ne se justifiait pas. Comme ils bénéficient d'aides du pays d'accueil d'un niveau au moins égal à la France, sauf en Europe du Sud, les postes consulaires ne les connaissent pratiquement pas. Par ailleurs, en Europe, très peu d'enfants français fréquentent les écoles françaises. L'éloignement de l'école, l'intégration dans le pays d'accueil, le coût de l'école française conduisent les familles à choisir l'école locale de proximité. Les populations de familles boursières ne sont donc pas vraiment représentatives des familles à revenus intermédiaires ou faibles susceptibles de connaître la précarité et l'exclusion. L'absence d'informations fiables fournies par les dossiers de demande de bourses scolaires interdisait une étude de cas significative en Europe. C'est pourquoi Londres et Rome n'ont été étudiées que sous des angles particuliers : les jeunes migrants pour Londres, les femmes en difficulté conjugale et professionnelle à Rome. Cette dernière ville offre aussi des cas significatifs de personnes âgées, semblables à ceux d'Espagne ou de Grèce.

    Il n'est évidemment pas possible d'étudier les populations non immatriculées évaluées à 800 000 Français puisqu'il n'existe aucune source d'information les concernant. Mieux vaut reconnaître l'impossibilité que se perdre en conjectures oiseuses car tous les cas de figures se rencontrent dans cette population : l'expatrié temporaire de l'Amérique du Nord ou d'Europe qui n'a pas besoin du consulat, le jeune en rupture de ban, en situation irrégulière qui ne s'immatricule pas "de peur d'être dénoncé", le Français émigré, en cours d'intégration dans le pays résidence, dont les liens administratifs et culturels avec la France se distendent. On compte des exclus parmi eux, dans les mêmes conditions que parmi la population générale du pays de résidence.

 

    5. Sociologie générale des Français à l'étranger

     

    Les phénomènes de précarité et d'exclusion observés doivent être placés dans le cadre général de la sociologie contemporaine des Français à l'étranger. Elle se caractérise par la prédominance de ceux que nous appellerons les "résidents permanents" , que les statistiques consulaires qualifient " d'expatriés " et qui constituent plus de 90 % des immatriculés. Ceux qui sont désignés par le terme "détachés" dans ces statistiques consulaires, et qui représentent aujourd'hui moins de 10 % des immatriculés, sont eux appelés communément "expatriés" ou "expatriés temporaires". C'est cette terminologie conforme au sens donné aux mots par les Français à l'étranger eux-mêmes que nous utiliserons dans cette étude.

      Résidents permanents et expatriés temporaires

    La distinction entre résidents permanents et expatriés temporaires est l'élément discriminant de base des communautés françaises à l'étranger. C'est l'absence de perception de cette distinction dans l'opinion en France qui explique la persistance du stéréotype faux d'un Français à l'étranger au très haut niveau de revenus, parti pour quelques années ou faisant carrière d'un pays à l'autre pour s'enrichir. Une partie des expatriés temporaires ne correspond déjà plus à cette image. Les grandes sociétés expatrient de moins en moins de cadres et pour des durées plus brèves. Si leurs bureaux commerciaux, leurs filiales sont établies dans un premier temps avec des cadres français, la relève locale est rapide. En Europe les "rotationnels" qui font le va-et-vient Paris-Londres, Paris-Bruxelles, Strasbourg-Francfort se comptent par dizaines de milliers (Nouvel Observateur, 4-10 mars 1999). Le cadre expatrié est trop coûteux pour les entreprises. Ce statut est en nette diminution. Il concerne moins de 90 000 personnes, familles comprises, établies principalement dans des pays lointains (Asie) ou à risques (Afrique, certains pays d'Amérique Latine) et dans des secteurs professionnels limités (B.T.P, pétrole, banque, administration française, assistance technique, institutions internationales).

      Les résidents permanents

    Les Français à l'étranger d'aujourd'hui, ceux parmi lesquels peut sévir l'exclusion sociale, sont majoritairement des résidents permanents dont la durée de séjour est supérieure à 3 ans et dont le contrat de travail est de droit local s'ils sont salariés. Leur statut social, leur niveau de revenus sont ceux de leur catégorie socio-professionnelle dans leur pays de résidence. Ils ne bénéficient d'aucun avantage social ou financier lié à leur expatriation.

Répartition géographique des Français établis à l'étranger

Régions 1996 % total 1997 % total Evolution
1996/1997
Union européenne (+Suisse) 450 000 50,5 % 470 000 50,8 % + 4,25 %
Europe orientale 11 200 1,2 % 17 400 1,88 % + 35,63 %
Amérique du Nord 107 000 12 % 110 000 12 % + 2,72 %
Amérique latine 56 500 6,3 % 60 500 6,55 % + 6,61 %
Afrique sub-saharienne 118 000 13,2 % 114 000 12,33 % - 3,50 %
Afrique du Nord 36 000 4 % 35 700 3,87 % - 0,84 %
Total Afrique 154 000 17,2 % 150 000 16,2 % - 2,66 %
Proche et Moyen-Orient 63 000 7 % 64 300 7 % + 2,02 %
Asie-Océanie 49 000 5,5 % 53 000 5,75 % + 7,54 %
Total 890 700 100 % 925 200 100 % + 3,72 %

 

    Evolutions :

    Le nombre de Français immatriculés ne cesse de diminuer depuis 1980. La fonte des communautés affecte essentiellement l'Afrique. L'Afrique du Nord est passée de 105 000 immatriculés en 1980 à 35 700 en 1995 et l'Afrique sub-saharienne de 182 500 à 114 000 dans cette même période de quinze ans.

    La population française augmente dans deux parties de monde : le Proche-Orient avec le retour des Franco-libanais au pays, l'Asie-Océanie où l'implantation française est passée de 34 000 à

    53 000 entre 1980 et 1995 lorsque cette zone a connu une forte progression économique.

     

    Répartition socio-professionnelle des Français établis à l'étranger

    Elle se caractérise par la prédominance du secteur tertiaire à des niveaux de qualification élevés.

    La répartition socio-professionnelle de la communauté française dans le monde est stable :

Secteur tertiaire : 371 564 soit 85,69 %
Secteur industriel : 49 104 soit 11,32 %
Secteur de l'agriculture : 6 603 soit 1,52 %
Secteur du bâtiment : 6 353 soit 1,47 %

    A part le secteur tertiaire qui demeure prédominant dans l'emploi de nos compatriotes à l'étranger, tous les autres secteurs d'activité sont en baisse.

    Répartition socio-professionnelle du secteur tertiaire :

Cadres, professions intellectuelles 38,22 %
Professions intermédiaires 26,20 %
Employés 35,57 %

    Soit près de 65 % des actifs à niveau de qualification élevé, ce qui est une proportion beaucoup plus forte que dans la population générale française et, en particulier, dans les trois départements dont l’aide sociale est comparée à celle des Français de l’étranger dans la seconde partie du rapport.

    Document

Haute Garonne

Isère

Essonne

France

hommes femmes hommes femmes hommes femmes hommes femmes
Agriculteurs exploitants 3,06% 2,07% 2,61% 2,02% 0,44% 0,31% 4,45% 3,63%
Artisans, commerçants et chefs d’entreprise 9,99% 5,17% 9,97% 5,90% 6,83% 3,21% 8,91% 5,18%
Cadres 18,45% 10,28% 14,18% 7,84% 21,41% 10,36% 13,36% 7,77%
Professions intermédiares 22,90% 22,57% 21,62% 21,39% 24,02% 24,68% 19,43% 19,17%
Employés 11,41% 48,25% 8,31% 47,41% 13,13% 52,57% 10,93% 49,22%
Ouvriers 34,19% 10,66% 43,30% 15,44% 34,17% 8,87% 42,91% 15,03%
Taux d’activité 50,81% 27,50% 51,38% 37,83% 54,99% 44,53% 50,51% 37,43%


Part des CSP dans la population active en France et dans 3 départements d’1M d’habitants.

    Catégorie socio-professionnelle et niveau de revenu

    Les Français à l'étranger se caractérisent donc par une bonne qualification intellectuelle et professionnelle : la France exporte de la matière grise. Mais les niveaux de revenus ne peuvent être estimés qu'à partir de l'observation de terrain. Le fait que les Français disposent des revenus de leur catégorie socio-professionnelle dans leur pays de résidence est une règle fondamentale à observer.

    Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la qualification professionnelle ne protège pas absolument de la précarité et de l’exclusion. Nous verrons qu'il s'agit soit de personnes victimes d'aléas personnels (maladie, rupture du lien conjugal, perte d'emploi), soit de personnes résidant en Afrique, en Amérique Latine et au Proche-Orient où leurs revenus peuvent être très inférieurs à ceux des mêmes catégories socio-professionnelles en France. La meilleure preuve en est l'incapacité de ces Français à accéder à une couverture sociale, même pour la seule maladie. Seules 21 000 personnes étaient affiliées en 1995 à la Caisse des Français de l'Etranger sur 119 500 adultes immatriculés. Il faut ajouter à cela que très peu de Français cotisent pour leur retraite au régime général de la sécurité sociale alors que les caisses d'assurance-vieillesse sont inexistantes ou en faillite dans leur pays de résidence.

    Les Français de ces trois zones connaissent donc majoritairement une situation de grande précarité, même s'ils appartiennent à des catégories socio-professionnelles de bon niveau.

 

    6. Catégories et répartitions géographiques des exclusions sociales

    Les populations les plus fragiles dans tous les pays sont :

    1) les familles à revenus très bas et/ou aléatoires

    2) les femmes seules avec enfants

    3) les personnes privées d'emploi au delà de l'âge de 50 ans

    4) les personnes privées d'assurance maladie/vieillesse

    La même personne peut souvent conjuguer plusieurs de ces caractéristiques, ce qui produit les situations de misère et de pauvreté.

    Dans les pays d'Europe du Nord et d'Amérique du Nord, ces personnes représentent un pourcentage réduit des communautés françaises. La plupart ne sont pas connues des services consulaires, elles ne s'immatriculent pas ou, si elles sont immatriculées, ne demandent pas d'aide sociale au consulat puisque le système des Comités consulaires de protection et d'aide sociale (CCPAS) n'a pas d'offre réelle de secours pour eux. Elles relèvent de l'aide sociale locale, dans les pays de l'Union Européenne en tant que ressortissantes de l'Union, ainsi qu'aux Etats-Unis, du moins tant que les Etats-Unis ne retireront pas l'aide sociale aux étrangers titulaires d'une carte verte.

    En Europe du Sud, la faiblesse ou l'absence de prestations familiales, d'assurance chômage, de système de revenus de substitution de type RMI réduit ces catégories à la pauvreté.

    En Afrique, dans l'Océan Indien et en Amérique Latine, ces catégories forment des groupes plus nombreux, de l'ordre de 2 000 personnes à Tunis et à Buenos Aires, de 4 000 à 5 000 personnes à Abidjan, entre un tiers et la moitié des immatriculés à Madagascar soit environ 8 000 à 10000 personnes.

    Les besoins d'aide sociale à l'étranger sont donc concentrés sur ces deux continents en voie de développement, où une forte proportion de la communauté française est pauvre ou en situation précaire et où le consulat de France est le seul recours.

 

    7. Evolution de l'exclusion sociale dans les communautés françaises à l'étranger

        · Accroissement du nombre des Français en difficulté à l'étranger

    Ce phénomène est constaté dans tous les postes, mais comme l’offre d'aide sociale est inexistante pour les adultes d'âge actif et les enfants, nous n'en avons qu'un indicateur statistique, celui de l'évolution de l'attribution des bourses scolaires.

    Le nombre de boursiers est passé de 14 250 en 1994 à 17 400 en 1998, soit une augmentation de près de 10 % en 1995 et 1996, de près de 4 % en 1997. La baisse constatée en 1998 s'explique par le durcissement des critères d'attribution, qui a conduit à retirer totalement ou partiellement les bourses à des familles qui en auraient bénéficié selon les anciens critères sans que leurs revenus aient changé. Mais la demande, non comptabilisée au niveau mondial, continue à croître de 10 à 12 % dans des postes tels que Tunis, Barcelone ou Abidjan.

    En éliminant la part prise par l'augmentation des droits de scolarité dans cette progression et pour ne tenir compte que de la seule impécuniosité des familles, on peut évaluer l'accroissement des populations en difficulté dans une fourchette de 5 à 7 % l'an, au moins en Afrique, Océan Indien et Amérique Latine. Ailleurs l'évaluation n'est pas réalisable, faute de représentativité statistique des familles bénéficiaires de bourses scolaires. Mais l'augmentation du nombre de familles à faibles revenus, qui se manifestent à Londres ou à Barcelone pour demander une bourse scolaire, témoigne d'une modification sociologique du mouvement migratoire français dans une partie de l'Union Européenne. Ce n'est plus le fait des seules élites. Les nouvelles familles demandeuses de bourses constituent un échantillon assez représentatif des Français pauvres ou à revenus modestes qui optent pour une émigration autonome.

    Mais si le pourcentage de Français victimes de l'exclusion sociale augmente, il reste peu élevé par rapport à celui qu'on constate en France. Par ailleurs, ceux que nous pouvons et devons aider sont concentrés dans des pays où le coût de la vie est faible. Les sommes à mettre en jeu sont donc beaucoup moins élevées qu'en France pour le même type d'action.

      Combien de Français sont frappés par l'exclusion sociale à l'étranger ?

    Dans cette évaluation, mieux vaut exclure les Français en difficulté des pays industrialisés, dont on ne sait pratiquement rien et qui ne relèvent qu'à la marge d'une action de la France puisqu'ils bénéficient des "filets sociaux" de leurs pays de résidence.

    En croisant les chiffres relatifs aux jeunes, scolarisés ou non à l' AEFE, bénéficiaires de bourses scolaires, le nombre de secours occasionnels et d'aides médicales, le nombre d'allocataires permanents, âgés et handicapés des consulats étudiés, le nombre d'adhérents à la CFE (maladie) et en extrapolant à leur sous-région, on arrive à l'estimation suivante :

sous-région immatriculés (*) % de Français
en difficulté
nombre de Français
en difficulté
Afrique de l'ouest et Djibouti 100 000 25 % 20 000
Madagascar 20 000 40 % 8 000
Pondichéry 8 000 40 % 3 200
Afrique du Nord 35 000 15 % 5 250
Proche et moyen Orient 64 000 10 % 640
Amérique Latine 60 000 10 % 600
total 287 000 37 690

Estimation des Français en difficulté dans les PVD
(*) chiffres arrondis

    Sur ce petit tiers des Français établis à l'étranger, dans des pays sous-développés ou émergents, il y aurait moins de 40 000 personnes relevant, ponctuellement, d'une action de lutte contre l'exclusion, soit un pourcentage de 13 % environ.

    Il est vain de vouloir chiffrer quoi que ce soit sur les besoins d'actions sociales des non-immatriculés dont on ne connaît ni le nombre, ni les caractéristiques sociales et démographiques. On peut seulement conjecturer qu'ils déclarent un jour un besoin d'aide à l'occasion d'une primo-immatriculation ou qu'ils décident de s'immatriculer pour bénéficier d'aide.

    8. Causes de l'accroissement du nombre de Français en difficulté à l'étranger.

    1°) La dynamique démographique interne en Afrique et dans l'Océan Indien.
    Dans les Pays en voie de développement, la population française est jeune, avec une population d'enfants à charge beaucoup plus nombreuse qu'en France ou dans les pays de l'OCDE. Les pyramides des âges ont une base très aplatie et une pointe aiguë qui témoignent d'une longévité plus faible qu'en France. Le nombre de familles très pauvres ou à revenus insuffisants ne peut qu'augmenter puisque ce sont les pauvres qui ont la natalité la plus élevée.

    2°) Le vieillissement de la population française en Argentine et dans le cône sud
    La misère frappe ici majoritairement un nombre croissant de personnes âgées de plus de 50 ans dont la famille est fixée en Argentine depuis deux ou trois générations, appartenant à la classe moyenne par leur catégorie socio-professionnelle, mais ruinées par l'hyperinflation, l'ouverture du marché fatale aux petites entreprises et le rejet hors du marché de l'emploi dès les 40 à 50 ans.

    3°) La précarisation des classes moyennes et populaires
    Le phénomène est mondial. Il est lié aux conditions dans lesquelles s'effectue la globalisation de l'économie mondiale. Il frappe les Français résidents permanents car ils suivent la condition des nationaux de leur catégorie socio-professionnelle. Seuls les expatriés temporaires échappent à cette logique grâce aux avantages financiers auxquels donne lieu leur statut, dans le public et le privé. Mais ces "détachés" ne constituent plus que 10 % à peine des communautés françaises.

 

 

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