Première partie

      Sociologie de l'exclusion sociale
      dans les communautés françaises à l'étranger

 

 

I. LES REVENUS DES FRANCAIS EN DIFFICULTE A L'ETRANGER

    1) Méthodologie : l'exploitation des dossiers de bourses scolaires

    Les revenus et le niveau de vie des Français en situation d'exclusion sociale et de précarité immédiate ou potentielle peuvent être appréhendés par l'exploitation des données contenues dans les dossiers des familles qui sollicitent une bourse pour leurs enfants scolarisés dans une école française. Avec les dossiers d'aide sociale, beaucoup moins nombreux et moins détaillés, c'est la seule source d'information sur les niveaux de revenus des Français immatriculés.

    L'échantillon de population ainsi constitué n'a d'intérêt que si on tient compte de tous les facteurs qui abaissent sa représentativité.

    La population des familles boursières est partiellement représentative des milieux sociaux défavorisés (et même très défavorisés dans le cas de Madagascar) et des familles de la classe moyenne à revenus intermédiaires. Mais des facteurs internes au groupe ainsi constitué et les critères d'attribution des bourses scolaires modifient l'échantillon sur les plans sociologiques et financiers. Toutes les données recueillies doivent être analysées en tenant compte de ces biais mais permettent, à cette condition, d'évaluer les revenus et le niveau de vie des populations étudiées dans ce rapport.

    2) Des échantillons biaisés

    Les éléments qui biaisent l'échantillon sont les suivants :

      · le critère géographique :

    Les Français établis loin des capitales ou, dans les capitales, loin des quartiers résidentiels où est implantée l'école française, n'y scolarisent pas leurs enfants. Les Français les plus pauvres sont donc largement écartés de l'échantillon même s'ils en constituent une part relative importante. Mais c'est réellement une minorité des familles pauvres ou très pauvres immatriculées qui apparaissent dans l'échantillon. Madagascar, où l'offre scolaire française est abondante et répartie sur tout le territoire, constitue une exception.

      · le critère économique :

    Les coûts annexes de la fréquentation d'une école française sont si élevés que des parents à revenus bas ou précaires, qui répondent aux critères d'attribution des bourses, n'en demandent pas. Habillement, équipement scolaire, manuels, activités périscolaires excèdent leurs capacités financières.

      · le critère culturel :

    A l'exception de Madagascar et, partiellement, d'Abidjan, c'est un facteur très discriminant. Choisir pour ses enfants " une école de riches ", d'un niveau pédagogique réputé, c'est pour des familles pauvres ou à revenus intermédiaires un choix déterminé par une volonté acharnée de réussite et d'ascension sociale pour les enfants. La distorsion entre un niveau de formation convenable ou élevé des parents et des revenus insuffisants (cas de Tunis, d'Abidjan) ou une origine sociale bourgeoise à laquelle on tient à rattacher ses enfants (Buenos Aires) explique un tel choix. Mais il est frappant de voir que les CSP (catégories socioprofessionnelles) des parents de familles boursières sont homologues des CSP de la population générale.

 

      · le critère de l'âge

    Le critère d’âge biaise aussi l'échantillon. Il élimine les jeunes adultes qui ne sont pas encore parents, et les personnes âgées. Tunis est le seul poste où les âges des parents soient enregistrés. Cela donne la pyramide des âges suivante :

    Or, dans une population telle que celle de Tunis, les jeunes adultes de moins de 35 ans sont dans une situation nettement plus difficile que la génération précédente car la composition socio-professionnelle des deux groupes d'âges est très différente.

      · Les critères d'attribution des bourses scolaires

    Ces critères éliminent beaucoup de familles avec un seul enfant, même à bas revenus, et favorisent les familles à partir de trois enfants, surtout si les droits de scolarité sont très élevés. Il faut vraiment qu'une femme seule avec un unique enfant soit très démunie pour obtenir une bourse scolaire à Abidjan ou à Tunis. En revanche, un cadre supérieur new-yorkais, avec trois enfants, obtient des bourses pour eux avec un revenu mensuel de 6 250 $ (37 500 FF). En effet, sans la bourse, il ne pourrait pas scolariser ses enfants dans une école française qui est aussi onéreuse que son homologue privée américaine. Mais l'employée recrutée locale de cette école française, parent isolé, devra renoncer à y scolariser son unique enfant avec un revenu mensuel de 3 200 $ (1 600 $ de salaire et

    1 600 $ de pension alimentaire) soit 19 200 FF, car la bourse accordée ne serait que partielle et laisserait une part trop élevée à sa charge. Or c'est ce groupe des femmes seules avec enfant dont la situation est la plus précaire, dans les communautés à l'étranger tout comme en France.

    Il n'en reste pas moins que les données chiffrées extraites des dossiers de bourses scolaires permettent de vérifier les observations empiriques effectuées au cours de l’enquête sur les groupes sociaux exclus, précaires ou à précarité potentielle.

 

    2) Les niveaux de vie infra-normaux

    A Madagascar, et à un degré moindre à Abidjan, des Français vivent dans les conditions infra-normales des pays du Tiers-Monde. A Madagascar, ce sont les descendants des colons installés dans la grande île, conformément à la politique de peuplement organisée par Gallieni. Venus de France, de la Réunion, des Comores, ils se sont mariés à des femmes malgaches. Petits colons, prolétarisés dès avant l'indépendance, ou ruinés par les spoliations agraires auxquelles elle a donné lieu, ils sont très souvent réduits à la misère absolue. Micro-agriculteurs de brousse, ouvriers intermittents à Tananarive et dans les villes de la côte, ils n'ont pas de revenus monétaires à déclarer lors de leurs demandes de bourses scolaires. Les gains quotidiens épisodiques qu'ils évoquent sont de l'ordre de quelques francs français. Leur problème majeur est de pouvoir acheter chaque jour quelques centaines de grammes de riz pour chaque membre de la famille. Il en faudrait 500 g. par jour et par personne pour fournir la ration calorique de base. C'est hors de leur portée. A Tananarive, avec des revenus familiaux aléatoires de 150 à 200FF, des dépenses de loyer de 50 à 70 FF sont évoquées, moins fréquemment le coût de l'eau et de l'électricité car les logements n'en sont pas pourvus. Il n'est pas question d'achats de vêtements neufs ni de soins de santé. Nombre de ces défavorisés sont illettrés et ne parlent pas le Français.

    La même situation est plus exceptionnelle à Abidjan, mais elle existe. Ce sont surtout des femmes d'origine africaine, abandonnées par les pères français de leurs enfants, qui connaissent cette misère absolue.

    L'examen d'un document comptable fourni par une personne âgée, bénéficiaire d'une allocation de solidarité de 720 FF/mois, qui vit avec deux fils lycéens donne, par comparaison, une idée de la misère immédiatement perceptible (maigreur, bouche édentée dès 30-40 ans, posture voûtée, lenteur de la marche, vêtements élimés) à laquelle sont réduits ces Français qui vivent avec 100 à 200 FF/mois.

    Le budget de cette famille de 3 personnes, pour 4 semaines - du 30 mars au 26 avril 1999 - se répartit ainsi :

 

Loyer

100,50 FF

Electricité

22,90 FF

Charbon

30 FF

Total logement/énergie

153,40 FF

Alimentation

354,60 FF

Hygiène - entretien

48,45 FF

Médicaments

20,10 FF

Frais de transport des 2 lycéens

39,00 FF

Journaux

14,00 FF

Total des dépenses

629,50 FF

 

    · Document : budget mensuel d'une famille malgache de 3 personnes avec un revenu de 720 FF (720 000 FMG), les prix sont en francs malgaches.

    Liste des principales dépenses permanentes effectuées du 30 mars au 26 avril 1999 pour une période située entre deux paiements, soit 28 jours, pour 1 adulte et 2 adolescents.

Loyer 100 500
Jirama (électricité) 22 900

Nourriture
Riz : à raison de 0,5 kg/personne/jour, soit 1,5 kg/jour
1,5 kg x 28 jours x 2 200 - Fmg = 92 400
Frais de transport. 2000
Pain : 3 pains/jour, soit : 3 x 600 - Fmg x 28 jours 50 400
Lait : 0,50 l/jour = 1 500 - Fmg x 28 jours 42 000
Voafotey (thé local) 500
Margarine 500 grs : 2 boites x 8 200 16 400
Sucre : 2 kg x 3 900 7 800

Viande
-Boeuf : 0,250 kg/jour = 2 000 x 19 jours 38 000
-Porc : 0,250 kg/jour = 3750 x 4 jours 15 000
-Poisson : 1 jour/semaine = 3 500 x 4 jours 14 000
-Poulet : 1 jour/mois 3 500
Oeufs : 3 unités/semaine = 3 x 600 x 4 7 200
Patsa (petites crevettes séchées) : 1 boite/semaine 1 000 x 4 4 000
Brèdes : 750 - Fmg/jour x 19 jours 14 250
Légumes (hebdomadaire) : 3 500 x 4 14 000
Carottes : 350 - Fmg/jour x 23 jours 8 050
Fruits : 500 - Fmg/jour x 28 jours 14 000
Huile : bouteille 1 l/mois 7 500
Sel fin : 2 sachets 250 grs/mois = 2 x 200 400
Manioc : 800 - Fmg/semaine = 800 x 4 3 200
Charbon : 30 000
384 600

Articles d'hygiène : 12 morceaux de savon x 850 10 200
4 sachets MaD10 x 500 2 000
1 flacon d'eau de Javel 2 000
1 éponge de ménage 500
2 éponges métalliques x 600 1 200
3 Big Tox x 1 250 3 750
3 savons de toilette x 1 100 3 300
1 tube dentifrice 2 000
1 étui de lames de rasoir 3 500
28 450

Laveuse : salaire séance/semaine : 5 000 Fmg, soit 5 000 x 4 20 000
Médicaments : 2 sachets Rehasina (plantes médicinales) x 2 550 5 100
2 sachets Fanazava (plantes médicinales) x 2 500 5 000
Achat hebdomadaire en fin de semaine : paracétamol,
chloroquine, sulfaguanidine, etc... 2 500 x 4 =10 000
20 100

Frais de transport des 2 enfants
Du 30/03 au 16/04 inclus = 13 jours à 3 000 Fmg/jour 39 000
Du 16/04 au 28/04 = en vacances
Journaux : Participation à l'achat des journaux Midi et Lakroa en association avec un voisin 14 000

Total 629 550

A ajouter : fournitures diverses.

Solde (créditeur) du compte :
Mis en réserve pour provision destinée à l'achat d'habillement, fournitures scolaires à la rentrée, ...

      Observations :
      " J'estime que les aliments pris actuellement répondent à peu près à l'équilibre alimentaire.
      Toutefois, au cas où l'on a absolument besoin d'autre chose (cas habillement, fournitures scolaires), le poste "nourriture" est comprimé aux dépens des choses nécessaires.
      Ainsi, la viande peut être en partie supprimée et remplacée par de la pomme de terre ou des grains secs. Et il en serait de même pour les autres denrées. "

    3) Les très faibles revenus - 1er quartile des familles boursières

    On peut considérer que dans les 5 pays étudiés, les familles boursières qui appartiennent au 1er quartile, c'est à dire les 25 % dont les revenus sont les moins élevés, vivent dans la précarité. A Tananarive, à ce niveau de revenus, il s'agit de très grande misère, car c'est l'ensemble des familles bénéficiaires de bourses scolaires qui connaît la précarité. Le chef de famille est retraité, ouvrier ou chômeur et, pour certains, artisan ou petit commerçant. Les personnes qui appartiennent au secteur de l'économie informelle et ne déclarent aucun revenu ou aucun revenu fixe n'entrent pas dans le calcul dont résulte le tableau ci-dessous. Il y a donc encore des familles beaucoup plus pauvres que celles-ci et leurs revenus échappent à l'analyse.

       

      3.1. Revenus des 25 % de familles boursières aux revenus les plus faibles :

revenus annuels

revenus mensuels

Francs Français

monnaie locale

Francs Français

monnaie locale

Tananarive

1500 FF

1500000 FMG

125 FF

125000 FMG

Abidjan

19651 FF

1965100 CFA

1638 FF

163800 CFA

Tunis

24204 FF

4840 DT

2017 FF

403 DT

Buenos-Aires

44172 FF

7360 pesos

3681 FF

613 pesos

New York

137880 FF

22980 $

11490 FF

1915 $

 

    Même en tenant compte d'une certaine sous-déclaration des revenus, dans les professions où cela est possible et dans les pays où ni les bulletins de salaires ni les déclarations de revenus ne sont fiables, les entretiens avec les familles de ce groupe confirment le niveau de pauvreté attesté par les chiffres.

       

      3.2. Revenus et coûts de la scolarité

    Il est éclairant de situer ces revenus par rapport à la charge qu'ils ont en commun, quel que soit le pays, celle du coût de la scolarisation des enfants.

    Pour simplifier, on se référera au coût du collège, intermédiaire entre le primaire et le lycée, pour un seul enfant, sur des bases mensuelles en Francs français.

 

revenus mensuels

coût de scolarité

% du coût de scolarité

Tananarive

125 FF

468 FF

374%

Abidjan

1638 FF

683 FF

42%

Tunis

2017 FF

515 FF

26%

Buenos-Aires

3681 FF

2140 FF

58%

New York

11490 FF

4625 FF

40%

    Evidemment, aucune de ces familles ne pourrait scolariser un seul de ses enfants à l'école française sans bourse, d'autant qu'aux droits de scolarité s'ajoutent tous les frais annexes : manuels et matériel scolaires, transport, demi-pension.

       

      3.3. Revenus et protection sociale

    Il peut être intéressant aussi de situer les revenus de ces familles par rapport au coût de l'assurance-maladie à la CFE (caisse des Français de l'étranger en 3ème catégorie) et au coût d'une protection sociale incluant l'assurance-vieillesse du régime général de la sécurité sociale. Pour Buenos-Aires, nous avons tenu compte du coût de la mutuelle de l’Hôpital Français (" Prepaga CEFRAN ").

revenus mensuels

assurance maladie (1)

%

Protection sociale (assurance maladie + assurance vieillesse) (2)

%

Tananarive

125 FF

488 FF

390%

1638 FF

1310%

Abidjan

1638 FF

488 FF

30%

1638 FF

100%

Tunis

2017 FF

488 FF

24%

1638 FF

81%

Buenos-Aires

3681 FF

1500 FF

40%

2650 FF

71%

New York

11490 FF

2488FF (3)

21%

3628 FF (3)

31%

      (1) assurance-maladie : 6,75 % de 50 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit
      7 239 FF/mois ? 488 FF/mois
      (2) assurance-vieillesse : 15,90 % de 50 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit
      7239 FF/mois ? 1 150 FF/mois
      Coût total de la protection sociale : 1 638 FF
      (3) New-York - 3ème catégorie de la CFE + 2 000 FF d'assurance complémentaire
      ? 2 488
      - assurance maladie + assurance vieillesse CFE = 3 638.

 

    Une assurance maladie de source française reste hors de portée pour ces familles, non seulement à Tananarive, mais aussi à Abidjan et à Tunis. Comment consacrer le quart ou le tiers d'un revenu familial au seul poste de l'assurance maladie ? De toutes façons, à Buenos-Aires comme à New-York, la seule couverture CFE n'a pas d'intérêt, en raison des tarifs médicaux dans ces pays, sans commune mesure avec les tarifs de référence de la sécurité sociale française.

    A Buenos-Aires, pour assurer une famille avec deux enfants à une mutuelle privée de bon niveau, tel le plan "D plus" du CEFRAN, "prépaga" de l' "Hôpital Français", il faut

    250 pesos /mois (1 500 FF), soit 40 % du revenu.

    Il en ressort que ces familles ne sont couvertes par aucune assurance-maladie et encore moins par une assurance-vieillesse. Or, dans les pays où il n'y a pas d'alternative satisfaisante à l'école française (ou à l'école locale homologuée par le ministère français de l’Education nationale) une forte proportion des familles, qu'on ne peut évaluer, faute de données, et qui ne scolarisent pas leurs enfants dans le réseau de l' AEFE, ont des revenus de ce niveau, ou inférieurs à ce niveau.

    En France, ces familles se classeraient, du fait de leur absence de protection sociale, dans les groupes les plus frappés par l'exclusion sociale. Mais en fait, à Abidjan, à Tunis et à Buenos-Aires, tout en étant très pauvres et dans une situation précaire, leur position sociale ne se situe pas dans les plus basses catégories. Il y a bien pauvreté et précarité, mais pas nécessairement exclusion sociale.

     

      3.4. Revenus et dépenses des familles

    Dans la mesure où des sources documentaires et statistiques existent, soit dans les dossiers de bourses scolaires eux-mêmes, soit dans des enquêtes locales sur les dépenses des familles, il est possible de situer le revenu et le niveau de vie de ces familles par rapport à leurs homologues du pays de résidence.

    · A Tananarive, le seul repère valable est celui de la ration de riz. Pour une famille de trois personnes, il en faut 1,500 kg par jour, ce qui représente une dépense mensuelle de 92,4 FF, soit les 3/4 du revenu total des familles considérées, si elles n'ont qu'un enfant. Or, elles en ont plutôt 5 ou 6.

    · Mais à l'autre extrémité, à New-York, quel est le pouvoir d'achat des 20 familles boursières de ces catégories ?

    En se référant aux niveaux de consommation d'un ménage de profil moyen habitant l'Etat de New-York, tel que l’estime le "Consumer Expenditure survey" de 1996-1997, ainsi qu'aux montants réels de dépenses figurant dans les dossiers de bourse, on peut évaluer la dépense annuelle d'une famille d'employés à 37 589 $ et d'ouvriers à 55 753$. Les revenus moyens des employés et des ouvriers sont respectivement de 29 405 $ et de 50 399 $. Ces deux groupes ont donc un revenu qui ne leur permet pas de satisfaire l'ensemble de leurs besoins puisque, dans les deux cas, le solde est négatif, de 8 184 $ pour les employés, et de 5 354 $ pour les ouvriers. Les 25 % de familles françaises boursières les plus pauvres se situent donc à un niveau de consommation très bas puisque leurs revenus sont inférieurs de 22 % à ceux des employés. Si on prend pour référence la dépense des employés, leur solde est négatif de 14 609 $.

revenus annuels

dépenses annuelles

solde

ouvriers

50 399 $

55 753 $

-5354 $

employés

29 405 $

37 589 $

-8184 $

25% des familles françaises boursières les plus pauvres

22 980 $

37 589 $

-14 609 $

 

    Les familles françaises concernées sont au nombre de 20. L'échantillon est minuscule parce que les autres familles qui ont le même niveau de revenu scolarisent leurs enfants à l'école publique locale et ne demandent pas de bourse. Elles ne sont pas connues du consulat, mais elles existent. La société de bienfaisance en connaît quelques-unes.

    Un témoignage

    Le témoignage d'une famille avec un revenu aléatoire d'environ 18 000 $, procuré par la vente dans la rue de masques africains, est significatif. Avec 3 enfants de 9, 10 et 11 ans, la dépense de nourriture n'est que de 75 $/semaine, soit 3 900 $ par an (22 % des revenus) parce que la mère fait beaucoup de préparations culinaires. Le couple a pu acheter une maison délabrée à Harlem qu'il rénove lui-même depuis trois ans. Tous les vêtements sont de seconde main et les enfants sont soignés au dispensaire. Les parents n'ont aucune assurance-maladie.

    Un enseignant du lycée Français de New-York ou un recruté local des services de l'Etat Français se situe dans cette catégorie. En effet leur salaire mensuel brut moyen est de 2500 $ et 3320 $. Par ailleurs, pour ceux d'entre eux qui ont la nationalité française et sont affiliés au régime général de la Sécurité Sociale, le salaire net mensuel moyen est réduit à 2100 $ et la fourchette des rémunérations mensuelles nettes est comprise entre 1360 $ et 2700 $. Ainsi, dans le cas où le salaire versé par l'Etat français est le seul revenu du ménage, il se situe à peine au-dessus du niveau de la famille boursière la plus pauvre (1900 $ de revenus bruts par mois). Dans tous les cas, le recruté local des services de l’Etat est dans une situation comparable à celle des chefs de familles boursières employés (2450 $ de revenus bruts par mois). Or, la majorité des recrutés locaux et enseignants ont une formation initiale largement supérieure à celle d'un employé (BAC +5 pour la plupart).

     

    · A Buenos-Aires, les 25 % des familles les plus pauvres, soit 40 familles, ont des revenus mensuels de 3 681 FF, qui correspondent au quart du revenu moyen de l'ensemble des familles boursières (15 169 FF).

    Les résultats de l'enquête nationale sur les dépenses des ménages de l' INDEC (institut argentin de statistiques) collectés en 1996-1997, fournit un cadre de référence pour situer le niveau de vie des familles boursières les plus pauvres, compte tenu des différences de nature entre l'enquête de l' INDEC et les dossiers de bourses scolaires (cf. Annexe - Etude statistique de la population des Français résidents dans la circonscription de Buenos-Aires ).

    Pour les 25 % "les plus pauvres", groupe pour lequel la comparaison est la plus pertinente, le revenu par tête (et le revenu des familles aussi) des familles boursières est inférieur à celui des familles argentines. Bien qu'ayant un nombre moyen d'enfants comparable, les Français consacrent plus d'un point de revenu supplémentaire aux dépenses de scolarisation. Il faut surtout noter qu'ils dépensent 43 points de plus aux dépenses de logement, car la contrainte résidentielle liée à la scolarisation de leurs enfants est maximale. Il est clair par ailleurs que les familles françaises appartenant à ce groupe, afin de maintenir cette structure de consommation, bénéficient de solidarités ou sont endettées.

 

1ier

2ième

3ième

4ième

Nombre moyen de membres de la famille

des familles françaises

3,97

4,23

3,92

3,36

des familles du Grand Buenos Aires

3,72

3,34

2,81

2,42

Revenu mensuel moyen par tête

Pesos

FF

Pesos

FF

Pesos

FF

Pesos

FF

des familles françaises

163

980

386

2317

613

3676

1154

6927

des familles du Grand Buenos Aires

196

1175

302

1815

471

2826

1025

6154

Part du revenu consacré à l’alimentation

des familles françaises

69,09%

35,53%

26,68%

15,43%

des familles du Grand Buenos Aires

37,70%

31,51%

27,66%

19,10%

Part du revenu consacré au logement

des familles françaises

54,57%

14,73%

16,78%

11,97%

des familles du Grand Buenos Aires

11,02%

10,20%

11,41%

11,00%

Part du revenu consacré à la scolarité

des familles françaises

4,03%

10,55%

17,73%

7,12%

des familles du Grand Buenos Aires

2,88%

3,39%

3,77%

3,71%

    comparaison entre les dépenses de quatre groupes de demandeurs de bourses et de familles du grand Buenos Aires définis par des quartiles de revenu par tête des familles.

    En fait ces familles françaises à revenus très bas ne se sont pas complètement adaptées à une économie de survie comme leurs homologues argentines, d'où l'endettement, le recours aux solidarités familiales, et des dépenses de logement et d'alimentation disproportionnées à leur budget. Les entretiens avec les familles qui ont ce niveau de revenus confirment l'approche statistique. A Buenos-Aires, ce sont surtout des femmes divorcées avec enfants. Logées par leur famille, ou locataires à "prix d'amis", elles évoquent toutes un lourd endettement, la difficulté à nourrir et à vêtir décemment les enfants, l'impossibilité d'adhérer à une mutuelle pour l'assurance-maladie.

     

    · A Abidjan, l’état lacunaire de la statistique locale ne permet pas d’estimer le niveau moyen des dépenses de consommations des différentes catégories de familles. En outre, pour mener une étude sur la structure des dépenses d’une famille française résidant en Côte d’Ivoire, il serait en effet indispensable de distinguer au moins trois modes de vie : le mode de vie " urbain - européen ", le mode de vie " urbain - africain " et le mode de vie " de brousse ". On ne dispose aujourd’hui d’aucun élément chiffré permettant de mettre en œuvre cette classification.

    Etant donné le coût de la vie à Abidjan, une famille qui dispose de ce revenu moyen de

    1 638 FF habite "au quartier", c'est à dire dans un quartier africain éloigné des écoles françaises où le loyer va de 100 FF pour une seule pièce sans installation sanitaire donnant sur une cour commune, à 500 ou 600 FF pour un petit logement autonome. L'eau courante et l'électricité représentent une dépense de 200 FF si le logement en est pourvu. Le transport est un poste de dépense très lourd à Abidjan en raison de la carence des transports en commun. Une famille de ce type avec 5 enfants scolarisés et ne bénéficiant pas de bourse de transport, car elle réside trop loin d'un itinéraire de ramassage, dépense 20 FF/jour d'école pour le taxi, soit 400 FF/mois.

    L'alimentation est à base de riz et de couscous de mil (atieké), très carencée en protéines animales et en fruits.

    Ainsi, un ménage, dont les revenus actuels (4 000 FF) sont réduits de moitié par le remboursement des dettes contractées lors d'une période de chômage antérieure de l'épouse, ne peut plus faire face. Le père est professeur de lycée mais son salaire de 2740 FF/mois est amputé de 600 FF par mois pour le transport. La mère, employée de bureau, a un CDD avec l'armée française (salaire de 1 300 FF/mois). Le loyer est de 550FF. Il reste 850 FF pour les dépenses courantes. Les enfants de 6, 4 et 2 ans sont mal nourris et ne seraient ni vaccinés, ni soignés, sans l'aide du consulat.

     

    · A Tunis, pour étudier le revenu et les dépenses des 25 % des familles boursières les plus pauvres, avec un revenu moyen de 2 017 FF, il a été possible de se référer à une enquête "Budget des ménages 1995" de l'INS tunisien. Les montants sont modulés en fonction de la taille du ménage et de la CSP du chef de famille. Ces revenus ont été extrapolés pour 1997, année pour laquelle sont connus les revenus des familles boursières. Les impôts, dont les montants ne sont pas connus, sont exclus du calcul.

    Ce niveau de revenus correspond à celui de deux CSP de la population boursière : les exploitants agricoles et les ouvriers non agricoles.

CSP du soutien principal du ménage

revenus mensuels

dépenses mensuelles

solde

exploitants agricoles

2 392 FF

1 976 FF

416 FF

ouvriers non agricoles

1 890 FF

2 184 FF

-294 FF

 

    La majorité des familles boursières étant urbaine, leur niveau de consommation doit être similaire à celui des ouvriers non agricoles, ce qui signifie que leur budget est structurellement déficitaire d'environ 167 FF mensuels hors impôts. La précarité est donc importante. En l'absence de solidarité familiale, tout aléa onéreux de la vie (opération chirurgicale, réparation d'appareil ménager, travaux sur l'habitation) engendre l'endettement.

    D'après les témoignages, cette précarité financière est aggravée par le caractère irrégulier des ressources. En témoigne cette famille où seul le père est actif, salarié non déclaré et payé à la commission dans le secteur commercial. Les revenus mensuels varient de 100 DT (500 FF) à 500 DT (2 500 FF), le total atteignant 3 800 DT (19 000FF) pour l'année 1998, soit une moyenne de 1 583 FF/mois. La famille ayant connu des jours meilleurs, elle est propriétaire de sa maison. C'est le seul aspect de sa vie qui ne soit pas marqué par la précarité.

    Le premier quartile des familles boursières des 5 postes étudiés est donc un échantillon représentatif des Français en situation de grande précarité à l'étranger : faiblesse des revenus souvent aléatoires, insuffisants pour couvrir les besoins fondamentaux, absence de protection face à la maladie et à la vieillesse, précarité du droit au séjour lorsque l'emploi non déclaré par l'employeur ou le coût du visa contraint à rester dans une situation irrégulière.

     

    4) Le niveau de revenus des "familles intermédiaires"

       

      4.1. Dernier quartile des familles boursières et familles à la limite du bénéfice des bourses

    L’étude de la distribution des revenus des familles boursières montre qu’un certain nombre d’entre elles bénéficie de bourses, bien qu’ayant des ressources nettement supérieures au revenu moyen du dernier quartile. Ce sont en fait, dans leur large majorité, des familles de 3 enfants ou plus. Leur présence au sein du groupe des familles boursières nous permet de reconstituer " par extrapolation " le revenu moyen du segment auquel elles appartiennent, celui des " familles intermédiaires ".

Revenus annuels

Revenus mensuels

Francs Français

Monnaie locale

Francs Français

Monnaie locale

TANANARIVE

23 532 FF

23 532 000 FMG

1961 FF

1 961 000 FMG

ABIDJAN

141 600 FF

14 160 000 CFA

11 800 FF

1 180 000 CFA

TUNIS

114 000 FF

22 800 DT

9 500 FF

1 900 DT

BUENOS AIRES

270 000 FF

45 000 pesos

22 500 FF

3 750 pesos

NEW YORK

664 800 FF

110 796 $

55 400 FF

9 233 $

    Dernier quartile des familles boursières

Revenus annuels

Revenus mensuels

Tananarive

37 000 FF

37 M.FMG

3 080 FF

3 080 000 FMG

Abidjan

170 000 FF

17 M. CFA

14 000 FF

1 400 000 CFA

Tunis

141 000 FF

28 320 DT

11 800 FF

2 360 DT

Buenos-Aires

300 000 FF

50 000 pesos

25 000 FF

4 167 pesos

New-York

780 000 FF

130 000 $

65 000 FF

10 833 $

    Groupe des familles à la limite de l'obtention de bourses.

 

      4.2. Pénalisation des familles exclues du bénéfice des bourses

    Les différences de revenus mensuels entre les familles boursières les plus favorisées et celles qui sont exclues du bénéfice des bourses sont variables selon les pays. Mais ce qui est significatif, c'est la comparaison entre le revenu des premières et celui des secondes ? une fois les frais de scolarité payés. Il y a un net effet de seuil.

revenus mensuel

coût de scolarité
3 enfants

% scolarité/revenus

Tananarive

1961 FF

1404 FF

71,5 %

Abidjan

11800 FF

2049 FF

17,0 %

Tunis

9500 FF

1545 FF

16,0 %

Buenos-Aires

22500 FF

6420 FF

28,0 %

New-York

55400 FF

13875 FF

25,0 %

    Dernier quartile des familles boursières - 3 enfants scolarisés.

revenus mensuels FF

coût de scolarité trois enfants

% scolarité/revenus

revenus disponibles frais de scolarité payés

Tananarive

3 080 FF

1404 FF

45 %

1676 FF

Abidjan

14 000 FF

2049 FF

14 %

11 951 FF

Tunis

11 800 FF

1545 FF

13 %

10 255 FF

Buenos-Aires

25 000 FF

6420 FF

25 %

18 580 FF

New-York

65 000 FF

13 875 FF

21 %

51 125 FF

    Groupe des familles à la limite de l'obtention des bourses - trois enfants scolarisés.

    Les dossiers de bourses scolaires étudiés ne comportaient pas l'indication de la quotité des bourses obtenues. Toutefois, même en admettant qu'une partie des familles du dernier quartile ne bénéficie pas de bourses complètes, l'effet de seuil est manifeste.

    Le revenu disponible, après paiement des droits de scolarité, des familles exclues du bénéfice des bourses scolaires, est inférieur à celui des familles boursières à Tananarive (1 676 FF pour 1 961 FF), à Buenos-Aires (18 580 FF pour 22 500 FF) et à New-York (51 125 FF pour 55 400 FF). Il est à peu près égal à Abidjan et légèrement supérieur à Tunis ( 10 255 FF pour 9 500 FF).

    Les familles de la classe moyenne à revenus intermédiaires sont donc pénalisées par le barème d'attribution des bourses scolaires. Est-il concevable qu'une famille consacre 21 % (New-York), 25 % (Buenos-Aires), 45 % (Tananarive) de son revenu au seul poste des droits de scolarité auxquels s'ajoutent tous les frais annexes de la scolarisation ?

    Le cas de Tananarive est particulièrement choquant. Ces chiffres confirment en effet l'observation du terrain : les personnels français administratifs recrutés localement par l'ambassade de France, par exemple, avec des salaires de 4 500 FF en moyenne (avant la dépréciation du Franc malgache au 2nd trimestre 1999) ne peuvent pas scolariser leurs enfants à l'école française, faute de bourses scolaires, et n'adhèrent pas à la CFE. En effet, pour se loger modestement, mais décemment, à un standard européen à Tananarive, il faut payer un loyer moyen de 2 500 FF. Cette ponction exercée, il est encore possible de scolariser un seul enfant, sans bénéficier de bourse, pour 515 FF, mais pas deux ou trois. Par rapport aux familles à revenus intermédiaires de Tunis ou d'Abidjan, ces familles sont très défavorisées. Le revenu-plafond des bourses scolaires devrait être nettement relevé à Madagascar.

     

      4.3. Les familles à revenus intermédiaires face à l'assurance maladie

revenus mensuels FF

assurance-maladie

%

protection sociale maladie + vieillesse

%

Tananarive 1 961 488 24 % 1 638 83 %
Abidjan 11 800 651 (1) 5 % 2 377 (1) 20 %
Tunis 9 500 651 (1) 6,8 % 2 377 (1) 25 %
Buenos-Aires 22 500 1 530 (2) 6,8 % 3 831 (2) 17 %
New-York 55 400 2 977 (3) 5,3 % 5 278 (3) 9,5 %

    Dernier quartile des familles boursières - coût de la protection sociale - un seul parent actif affilié.

(1) Abidjan - Tunis. 2ème catégorie CFE-maladie. 651 FF/mois

2ème catégorie CFE-vieillesse. 1 726 FF/mois

total 2 377 FF/mois

(2) Buenos-Aires. Assurance-maladie "CEFRAN D plus" pour 5 personnes :

255 pesos - 1 530 FF/mois

1ère catégorie CFE vieillesse : 2 301 FF/mois

total 3 831 FF/mois

(3) New-York. 1ère catégorie CFE - maladie : 977 FF/mois

Assurance complémentaire (en moyenne) : 2 000 FF

total assurance maladie : 2 977 FF

1ère catégorie CFE - vieillesse : 2 301 FF

total : 5 278 FF

 

revenu

mensuel

revenu mensuel disponible

coût de l'assurance-maladie

% assurance-maladie/revenu disponible

coût de la protection sociale

% protection sociale/revenu disponible

Tananarive 3 080 1 678 488 29 % 1 638 97,6 %
Abidjan 14 000 11 951 651 5 % 2 377 19,8 %
Tunis 11 800 10 255 651 6,3 % 2 377 23 %
Buenos-Aires 25 000 18 580 1 530 6 % 3 831 15 %
New-York 65 000 51 125 2 977 4 % 5 278 8 %

    Groupe des familles à la limite de l'obtention des bourses - coût de la protection sociale par rapport aux revenus disponibles, frais de scolarité payés (un seul parent actif est affilié).

     

    En dehors de Madagascar, l'assurance-maladie peut-être considérée comme accessible à condition que le revenu familial soit le produit du travail d'un seul parent et que l'autre soit ayant-droit. Un taux de cotisation de 6,5 à 7 % du revenu est supportable mais deux cotisations commencent déjà à peser trop lourd (10 à 14 %). La protection sociale complète (assurance-maladie et assurance-vieillesse) reste hors de portée pour les deux catégories de familles. Sans parler de Madagascar où le taux va de 80 % à près de

    100 %, des ponctions de l'ordre de 1/5ème ou du quart du revenu familial, pour la protection sociale d'un seul des parents, sont insupportables.

     

    Conclusion

    Ces familles à revenus intermédiaires, situées à la limite supérieure des familles boursières ou juste au dessus du seuil, appartiennent à la classe moyenne. Leur niveau de revenus les place parmi les cadres et professions intellectuelles, les commerçants. Leur statut social est assez élevé. Il n'en reste pas moins que leur situation est fragile car l'observation empirique prouve que les parents sacrifient souvent l'assurance-maladie au profit des frais annexes liés à la scolarité des enfants, ou préfèrent économiser en vue des études supérieures. Si la maladie frappe, c'est l'effondrement rapide des revenus de la famille.

    Enfin, la vieillesse n'est pas préparée, alors que les systèmes de retraite locaux ne permettent pas d'espérer une pension suffisante. A l'étranger, dans les pays privés de système de protection sociale, les classes moyennes sont donc en situation de précarité différée.

     

    5) Les revenus féminins

    Les revenus des femmes françaises établies à l'étranger sont, comme en France, très inférieurs à ceux des hommes. Cela résulte d'une nette différence - à leur désavantage - des catégories socio-professionnelles entre les deux sexes et, pour le même CSP, des revenus inférieurs. Le tableau récapitulatif des CSP les plus fréquents dans les familles françaises boursières des cinq postes étudiés le démontre. Cette différence de CSP induit évidement de fortes distorsions entre les revenus personnels des deux sexes.

      5.1. Des CSP inférieurs pour les femmes

BUENOS AIRES

NEW YORK

TUNIS

ABIDJAN

TANANARIVE

Père

Mère

Père

Mère

Père

Mère

Père

Mère

Père

Mère

CADRES ET PROFESSIONS INTELLECTUELLES 43,51% 47,96% 50,00% 31,51% 47,98% 34,04% 41,02% 29,45% 18,50% 17,94%
PROFESSIONS INTERMEDIAIRES 15,27% 19,39% 16,67% 21,92% 21,97% 18,44% 30,62% 20,94% 18,72% 14,70%
EMPLOYES 20,61% 30,61% 15,48% 32,88% 15,69% 46,10% 13,90% 43,62% 27,97% 34,72%

 

      5.2. Revenus des mères d'enfants boursiers

    Il a été possible d'extraire des dossiers de bourses scolaires des données comparatives sur les revenus bruts mensuels des pères et des mères. Pour les analyser, il faut tenir compte de deux facteurs qui les biaisent. D'abord, le calcul élimine les parents qui n'ont pas de réel statut, en particulier ceux qui ne vivent que de revenus de transfert (entraide familiale), ce qui explique que les revenus d'Abidjan soient plus élevés que ceux de Tunis. En Côte d'Ivoire, les bas revenus sont le fait de situations d'emploi précaires ou de parents sans emploi défini.

    D'autre part, pour Buenos-Aires et surtout New-York, la faiblesse des revenus des cadres féminins s'explique par le fait que ce sont, dans leur majorité, des épouses de cadres qui ne travaillent pas à temps plein. Par contre, les employées sont souvent des femmes seules, soutien de famille.

    Malgré tout, la différence de revenus entre pères et mères, à l'intérieur d'une même catégorie socio-professionnelle est forte, surtout dans certains pays et pour certaines CSP.

BUENOS AIRES

NEW YORK

TUNIS

ABIDJAN

TANANARIVE

Père

Mère

Père

Mère

Père

Mère

Père

Mère

Père

Mère

ARTISANS COMMERCANTS ET CHEFS D’ENTREPRISE 9 873 FF 3 763 FF 26080FF 12 573 F 3 123 FF 3 010 FF 5 175 FF 5 123 FF 934 FF 287 FF
CADRES ET PROFESSIONS INTELLECTUELLES 12729FF 6 962 FF 34245FF 11 265 F 7 004 FF 4 660 FF 5 438 FF 4 411 FF 1 355 FF 534 FF
PROFESSIONS INTERMEDIAIRES 11085FF 8 533 FF 32591FF 21 400 F 3 600 FF 2 965 FF 4 881 FF 4 189 FF 1 411 FF 810 FF
EMPLOYES 8 975 FF 7 208 FF 22580FF 11 866 F 2 638 FF 3 147 FF 4 120 FF 3 905 FF 690 FF 545 FF

    Cette faiblesse du revenu est liée à la catégorie socio-professionnelle inférieure des femmes chefs de famille monoparentale.

 

      5.3. Revenus des familles monoparentales

    Le revenu moyen des familles monoparentales représente la moitié du même revenu calculé sur les familles biparentales. Si l'on tient compte du nombre de personnes dans le calcul, il reste inférieur à celui des familles biparentales. Alors qu'un membre d'une famille boursière dispose en moyenne de 1 400 FF par mois, dans le cas d'une famille dont le parent unique est inactif ou chômeur, ce montant tombe à 300 FF.

     

    La faiblesse des revenus féminins a des conséquences lourdes dans le cas des familles monoparentales qui, à quelques exceptions près, sont des femmes seules avec enfants.

    · A Tunis,

    les familles monoparentales se distinguent par leur très bas niveau de revenu qui s'élève seulement à 60 % du revenu moyen de l'ensemble des familles. Dans ce groupe, 20 % des femmes chefs de familles sont inactives, 18 % à peine sont cadres. Les femmes les plus jeunes, majoritairement nées en Tunisie (91 %) sont les plus défavorisées. 13% seulement d'entre elles seulement sont cadres. On voit apparaître ici la catégorie des jeunes femmes binationales, âgées de 30 à 40 ans, divorcées, comme beaucoup de jeunes femmes tunisiennes de leur génération, et qui n'ont pas bénéficié d'une formation scolaire et professionnelle égale à celle de leurs frères.

    Un cas type.

    La jeune mère d'un enfant de 4 ans, employée dans un lycée français de Tunis, est rémunérée, pour un emploi à temps complet, 1 500 FF par mois. Or, le loyer d'un studio dans un quartier modeste à Tunis atteint couramment 750 à 1 000 FF/mois ! A ce niveau de revenu, elle dépend donc de l'entraide familiale : elle est logée par sa mère, et sa soeur se charge de conduire l'enfant à l'école et de le ramener, car ses horaires de travail ne lui permettraient pas de l’accompagner elle-même. Le transport absorbe de 150 à 200 FF/mois car elle habite loin de son lieu de travail. Elle n'a évidement pas d'assurance-maladie et ne pourrait pas faire face seule aux dépenses d'alimentation pour son fils et elle.

    · A Abidjan,

    les femmes seules représentent 237 chefs de famille sur 700 familles boursières, 100 d'entre elles sont célibataires.

Type de famille nombre
mères célibataires 99
mères divorcées ou séparées 92
mères veuves 32
pères célibataires 5
pères divorcés ou séparés 3
pères veufs 6
sous-total (familles monoparentales) 237
familles biparentales 450
Structure indéterminée 2
total 689

    Distribution des familles suivant le statut matrimonial des parents à Abidjan.

CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES DU CHEF DE FAMILLE Familles monoparentales Familles biparentales
AGRICULTEURS

0,4%

2,2%

ARTISANS COMMERCANTS ET CHEFS D’ENTREPRISE

3,8%

6,0%

CADRES ET PROFESSIONS INTELLECTUELLES

21,3%

37,3%

PROFESSIONS INTERMEDIAIRES

16,7%

27,7%

EMPLOYES

28,9%

11,4%

OUVRIERS

5,0%

3,6%

INACTIFS ET CHOMEURS

17,2%

5,8%

RETRAITES

5,0%

4,9%

ETUDIANTS

1,3%

1,1%

    Distribution des chefs de famille suivant leur catégorie socioprofessionnelle et leur statut matrimonial.

 

CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES DU CHEF DE FAMILLE

Familles monoparentales

Familles biparentales

Ensemble des familles

AGRICULTEURS 60 000 F 61 799 F 61 635 F
ARTISANS COMMERCANTS ET CHEFS D’ENTREPRISE 37 511 F 73 436 F 64 454 F
CADRES ET PROFESSIONS INTELLECTUELLES 59 688 F 91 395 F 83 977 F
PROFESSIONS INTERMEDIAIRES 54 327 F 85 549 F 77 934 F
EMPLOYES 47 493 F 66 761 F 55 682 F
OUVRIERS 41 590 F 66 658 F 55 915 F
INACTIFS ET CHOMEURS 10 109 F 62 644 F 29 612 F
RETRAITES 39 481 F 60 747 F 53 242 F
ETUDIANTS 19 767 F 15 038 F 16 811 F
ENSEMBLE 43 307 F 80 320 F 67 248 F

    Revenu annuel moyen par famille (en Francs Français) suivant le statut matrimonial et la catégorie socioprofessionnelle du chef de famille.

    Les femmes sont majoritairement employées (29 %) et occupent des emplois intermédiaires (17 %). Les plus défavorisées sont ouvrières et inactives (17 %). Elles vivent donc avec les revenus mensuels moyens suivants :

inactives ou chômeuses 842 FF/mois
ouvrières 3 465 FF/mois
employées 3 957 FF/mois
professions intermédiaires 4 527 FF/mois

    Concrètement, cela donne les situations suivantes.

    Cas 1

    Une veuve de 44 ans avec deux fils lycéens de 18 et 16 ans. La famille a des revenus aléatoires tirés de la vente, payée à la commission, de vêtements importés.

    La situation s'est aggravée en 1998 avec la perte simultanée de l'allocation à durée déterminée de 500 FF et de la bourse de demi-pension pour les deux garçons.

    La famille habite un quartier périphérique, d'où des coûts élevés de transport :

    200 FF/mois pour le taxi que prennent les deux garçons en l'absence de transport en commun, et au moins autant pour la mère. Les charges fixes du logement s'élèvent à

    550 FF de loyer, 110 FF d'électricité, 60 FF d'eau, soit 720 FF/mois.

    Au total, la mère ne peut donner que 5 FF par jour à chacun des garçons pour déjeuner.

    Cas 2

    Une femme divorcée de 49 ans avec une fille lycéenne. Infirmière de formation, elle travaillait auparavant dans l'entreprise de son mari. Elle a trouvé un poste d'institutrice à mi-temps dans une école privée :

    salaire 3 000 FF/mois

    loyer 1 500 FF/mois

    électricité/eau 250 FF/mois

    Il lui reste 1 250 FF pour toutes les autres dépenses, réduites aux postes de la nourriture et du transport.

    Cas 3

    Une femme divorcée de 34 ans, niveau 1ère G, avec 3 enfants de 14, 9 ans et 18 mois. Elle travaillait à 2 000 FF par mois pour un promoteur immobilier français, aujourd'hui en fuite, qui ne lui a pas payé les quatre derniers mois de salaire. Une pension alimentaire de 200 FF n'est pas versée par le père de sa fille. Le père des autres enfants a disparu. Elle vit d'emprunts, bénéficie d'un logement mis à sa disposition moyennant un loyer à prix d'ami (700 FF) dans un quartier convenable (Riviera) proche des écoles françaises. La famille l'aide pour la nourriture.

     

    A Buenos-Aires,

    Ce sont aussi les femmes qui ont les revenus les plus bas dans toutes les catégories socio-professionnelles. La différence de revenus entre familles boursières biparentales et monoparentales s'explique en partie par le fait qu'une part des familles biparentales dispose des deux revenus. Toutefois, cela ne suffit pas à rendre compte de l'ampleur de la différence, car 53 femmes sur 101 seulement perçoivent un revenu (soit 52 %) et ne contribuent que pour 17 % au revenu total des familles.

    Buenos-Aires - revenus des familles biparentales et monoparentales :

    Les budgets des femmes seules sont donc extrêmement serrés. Ces femmes dépendent de l'entraide familiale et sont endettées.

    Quelques cas :

    Une jardinière d'enfants d'une trentaine d'années avec un fils de 4 ans. Son salaire est de 465 pesos (2 790 FF), auquel s'ajoute une pension alimentaire de 400 pesos, soit un revenu total de 865 pesos (5 190 FF). Elle ne pourrait pas payer un loyer de l'ordre de 500 pesos (3 000 FF). Elle "arrive juste" grâce à la mise à sa disposition provisoire, par sa famille, du logement d'une parente décédée.

      2) Une femme divorcée, la quarantaine, 4 enfants de 23, 21, 14 et 10 ans. Les revenus de la famille sont constitués :

      - du produit aléatoire des cours particuliers de Français

      donnés par la mère - en 1998 : 700 pesos / 4 200 FF

      - d'une aide du mari 60 p. / 240 FF

      - du salaire de l'ainé des enfants 600 p. / 3 600 FF

      - du produit des petits jobs du second enfant, étudiant 400 p. / 2 400 FF

      ___________________

      1 760 p. / 10 440 FF

      Les charges fixes sont

      le loyer : - 600 pesos/mois

      l’énergie et l’alimentation : - 300 pesos/mois

      _______________

      900 pesos (3 600 FF)

    Il reste donc 860 pesos (5 160 FF) pour toutes les autres dépenses (transport, vêtements, santé, frais annexes de scolarité), soit 172 pesos (1 032 FF) par personne. La famille n'a pas d'assurance-maladie.

    Rappelons que les dépenses de base d'un ménage de 4 personnes sont estimées par

    l'INDEC à 1 023 pesos (6 086 FF). Si la mère ne trouve pas de cours particuliers, si l’aîné des enfants perd son emploi précaire, les besoins de base de cette femme et de ses quatre enfants ne pourront plus être satisfaits. La précarité immédiate et différée est donc grande.

    · A New-York,

    il a été possible de préciser le revenu des parents selon leur statut matrimonial et de le comparer aux dépenses moyennes calculées selon le "Consumer Expenditure Survey 1996 - 1997). Cela donne le résultat suivant.

Statut matrimonial des parents REVENU DEPENSE SOLDE
mariés 5 776 $ 5 459 $ 317 $
séparés 3 011 $ 3 770 $ -758 $
divorcés 3 643 $ 4 085 $ -442 $

    Revenus et dépenses mensuelles moyennes suivant le statut matrimonial des parents (en $US).

Statut matrimonial des parentsSOLDE
mariés 34 659 FF 32 756 FF 1 903 FF
séparés 18 067 FF 22 618 FF -4551 FF
divorcés 21 858 FF 24 512 FF -2654FF

    Revenus et dépenses mensuelles moyennes suivant le statut matrimonial des parents (en FF).

    Dans la population des familles boursières, les chefs de famille mariés étant généralement des hommes et les chefs de famille séparés ou divorcés des femmes, la différence de niveau de revenus est impressionnante.

    · A Tananarive,

    dans une population marquée par la faiblesse et l'extrême précarité des revenus, la situation des femmes est bien pire que celle des hommes. En effet, si les catégories socio-professionnelles des mères de familles boursières ne diffèrent pas sensiblement de celles des pères - contrairement aux autres cas étudiés - leurs revenus, à catégorie égale, sont toujours très inférieurs.

Pères Mères
Se déclarent sans profession 15,9% 58,9%
Déclarent avoir ou avoir eu une profession 84,1% 41,1%
dont :
Agriculteurs exploitants 5,9% 3,7%
Commerçants, artisans et chefs d’entreprises 13,8% 25,9%
Cadres et professions intellectuelles 17,0% 17,2%
Professions intermédiaires 17,2% 14,1%
Employés 25,7% 33,3%
Ouvriers 12,3% 1,7%
Chômeurs 3,0% 3,0%
Retraités 5,1% 1,0%

    Répartitions des parents en fonction du statut professionnel.

Pères

Mères

AGRICULTEURS

5 317,33 F

1 258,00 F

ARTISANS, COMMERCANTS, CHEFS D'ENTREPRISE

11 207,68 F

3 443,53 F

CADRES, PROFESSIONS INTELLECTUELLES

16 264,71 F

6 403,00 F

PROFESSIONS INTERMEDIAIRES

16 767,85 F

9 721,62 F

EMPLOYES

8 284,88 F

6 535,04 F

OUVRIERS

4 854,24 F

6 753,00 F

    Revenus annuels moyens des deux parents en fonction de la catégorie socioprofessionnelle.

    L'écart des revenus est particulièrement élevé pour les catégories des agriculteurs et celle des artisans et commerçants où les revenus des femmes équivalent respectivement au quart et au tiers de celui des hommes ! C'est le caractère précaire d'une part importante d'emplois féminins dans cette catégorie professionnelle qui explique l'écart, car la précarité de l'emploi s'accompagne d'une forte différence de revenus.

    Or, 22,4% des femmes actives ont un emploi précaire, contre seulement 7% des hommes actifs. 68% des femmes qui ont un emploi précaire sont chef d’une famille monoparentale.

Pères

Mères

Emplois non précaires 11 194,22 F 4 033,28 F
Emplois précaires 6 017,75 F 1 516,17 F

    Revenus et précarité de l'emploi.

    La précarité de l'emploi accentue la différence de revenus entre hommes et femmes puisque, dans un emploi stable, les femmes ont un revenu égal au tiers de celui des hommes alors qu'en emploi précaire, il n'est plus que du quart.

    Les familles monoparentales, dont la mère est chef de famille, ayant un nombre d'enfants équivalent à celui des familles biparentales dont le revenu principal est celui d'un homme, sont donc encore plus défavorisées que dans les autres pays et ne survivent que grâce à la solidarité familiale.

% nombre moyen d'enfants
FAMILLES BIPARENTALES 69,1% 2,68
FAMILLES MONOPARENTALES 30,9% 2,53
dont
parents célibataires 52,7%
parents divorcés 27,8%
parents veufs 19,6%
ENSEMBLE 2,65

    Nombre moyen d'enfants selon la structure de la famille.

    Conclusion

    Que les femmes françaises à l'étranger aient des revenus inférieurs à ceux des hommes n'est pas surprenant. Rappelons qu'en France le différentiel des salaires entre femmes et hommes est de près de 30 %. Mais, dans la situation d'expatriation, le phénomène est aggravé. Si la femme est française mononationale, elle est en double position de faiblesse sur le marché de l'emploi : étrangère et femme, ce sont deux handicaps qui tirent son salaire vers le bas. Binationale dans un pays du Tiers-Monde, elle est en outre victime de la condition générale des femmes, "esclaves d'un esclave", et sa nationalité française ne modifie en rien son statut social et son niveau de revenus.

    La précarité de la situation des femmes françaises à l'étranger est forte, immédiate ou différée selon les pays et les catégories socio-professionnelles, et se manifeste avec une plus grande ampleur dans le cas des mères de famille seules avec leurs enfants.

 

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