Première partie

      Sociologie de l'exclusion sociale
      dans les communautés françaises à l'étranger
      (suite)

 

IV - POINTS CRUCIAUX DE L'EXCLUSION SOCIALE

 

    Toutes les manifestations de l'exclusion sociale auxquelles la loi sur l'exclusion tend à remédier existent à l'étranger : endettement, logement insalubre, illétrisme, chômage, mais celles qui sont les plus discriminantes à l'étranger sont l'exclusion scolaire, la privation de soins de santé et l'impossibilité de rentrer en France. Ce sont les points sur lesquels une action sociale française doit être menée.

 

    1) La scolarisation - l’accès à l’éducation

    Un tiers seulement des enfants immatriculés dans les consulats fréquentent une école française du réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Cela ne signifie pas que les 2/3 restants soient menacés d'exclusion sociale par défaut de scolarisation ! Partout où les systèmes scolaires locaux, publics ou privés, offrent une formation de qualité, à proximité du domicile familial, les familles françaises, et plus encore les familles bi-nationales, optent pour l'enseignement du pays d'accueil.

 

      · L'exclusion sociale provoquée par la non fréquentation d'une école française

 
Total des enfants
scolarisables
(primaire et secondaire)
Enfants scolarisés dans
les système AEFE
%
Tananarive
3216
2889
89,83%
Abidjan
5015
2241
44,68%
Tunis
3466
2164
62,44%
Buenos Aires
2974
867
29,15%

 

    Dans les pays en voie de développement, l'effondrement des systèmes scolaires publics fait que les enfants français qui n'accèdent pas aux écoles de l'AEFE, et dont les parents n'ont pas les moyens de payer une bonne école privée, ont un niveau scolaire très bas. Leur capacité d'accéder à une formation professionnelle du type AFPA est faible, comme en témoigne le taux d'échec aux tests AFPA passés par des candidats français de l'étranger (58/300 en 1998 soit 17 %). En Afrique de l'Ouest comme à Madagascar, la réussite scolaire est un exploit dans des classes d'une centaine d'élèves avec des enseignants peu formés et épisodiquement rétribués.

 

      · L'exclusion sociale au sein des écoles françaises de l'AEFE

    Mais, l'exclusion sociale se produit aussi dans le cadre des écoles de l'AEFE pour plusieurs raisons : le bénéfice des bourses scolaires est trop aléatoire, les écoles sont élitistes et n'ont que rarement une politique sociale, l'enseignement professionnel et technologique est quasi inexistant.

      · Des bourses scolaires trop aléatoires

    Le système permet à 17 400 élèves (en 1998) de fréquenter l'école, moyennant une prise en charge totale ou partielle des droits d'écolage par les bourses de l'AEFE pour un budget total de 217 MF. Environ 30 % des élèves français du réseau bénéficient d’une bourse scolaire.

    La principale difficulté vient du fait que l'enveloppe globale des crédits de bourses scolaires n'augmente jamais en proportion de l'augmentation des droits d'écolage et de celle du nombre de familles à bas revenus. Cette situation provoque des effets pervers qui accroissent l'insécurité des familles et des enfants face à la scolarisation. On constate d'abord qu'un effet de ciseau prive progressivement les familles à revenus intermédiaires du bénéfice des bourses scolaires. Si elles arrivent à faire terminer leur scolarité aux enfants qui y étaient engagés, elles cherchent d'autres solutions pour les cadets. Paradoxalement, l'exclusion de l'école française par perte du bénéfice d'une bourse scolaire frappe donc essentiellement les familles de classe moyenne à revenus intermédiaires.

    Le caractère aléatoire du bénéfice d'une bourse s'accentue d'année en année. Pour adapter la demande à l'enveloppe de crédits, on fait varier les critères chaque année. Les familles ne peuvent plus faire de prévisions, puisque, sans changement de leurs revenus, leur quotité de bourse varie d'une année à l'autre. Une scolarité, de l'école maternelle au baccalauréat, dure 14 ans. De nombreuses familles n'osent plus engager leurs enfants dans un système scolaire dont elles ne sont pas assurées de pouvoir assumer le coût jusqu'au bout.

      · L'idéologie élitiste des écoles de l'AEFE

    En second lieu, les écoles de l'AEFE sont marquées par une idéologie élitiste. Conçues pour accueillir des enfants d'expatriés temporaires à haut niveau de revenus, elles ont pour objectif d'obtenir les taux les plus élevés possibles de réussite au baccalauréat dans les filières générales de prestige. On recherche en priorité les mentions au Bac et les prix au Concours Général.

    Depuis quelques années, des chefs d'établissement et des enseignants qui voient le public scolaire changer, tentent d'introduire des pratiques pédagogiques nouvelles pour favoriser la réussite des enfants en difficulté. Mais ce n'est pas la norme et ils se heurtent aux parents d'élèves les plus favorisés - qui contrôlent souvent les APE (Associations de Parents d'élèves) - et aux réticences d’autres enseignants à modifier des pratiques éprouvées pour s'adapter à un nouveau public d'élèves en difficulté.

      · Absence de politique d'aide sociale des écoles de l' AEFE

    Par ailleurs, ces écoles n'ont presque jamais de politique d'aide sociale envers les élèves défavorisés. Quand les parents tardent à verser les droits de scolarité, c'est l'exclusion de la classe, la relégation en salle de permanence. On imagine la souffrance morale des enfants soumis à de telles pratiques. La suppression des bourses de demi-pension depuis un an, dans des villes telles que Buenos-Aires et Abidjan, a accentué la relégation sociale des enfants les plus pauvres. Mal nourris chez eux, ils déjeunent d'un sandwich sous un préau ou dans les rues avoisinantes pendant que leurs camarades bénéficient d'une cantine climatisée. A Buenos-Aires, il faut acquitter un droit pour accéder à une salle surveillée et y faire réchauffer son repas dans un four à micro-ondes. Lorsque les deux parents travaillent ou que la mère est seule, rien dans les horaires ne leur facilite la vie. Pas d'accueil le matin avant les classes, pas de permanence le soir après les classes. Tout est parfait pour les familles qui emploient un chauffeur ou une baby sitter. Que les autres se débrouillent. Enfin, les activités para-scolaires sont généralement inaccessibles aux élèves défavorisés, exclus de la participation aux classes transplantées (de mer, de montagne, classe verte), faute d'un financement social. L'inégalité sociale flagrante entre des enfants d'expatriés à très hauts revenus et ceux issus de familles résidentes permanentes à bas revenus engendre une forte frustration pour les seconds, avec des effets contrastés sur la réussite scolaire : acharnement au travail pour compenser chez les uns (cas signalés de boursiers au Lycée Français de Tananarive), découragement, révolte et refus de l'école chez les autres.

 

      · Absence d'enseignement technologique et professionnel

    L'enseignement professionnel et technique brille par son absence. Seuls quelques établissements offrent des filières technologiques et professionnels.

Pays Côte d'Ivoire Espagne Ile Maurice Inde Maroc Mexique Sénégal Tunisie Madagascar Total
Effectifs candidats 50 17 68 23 145 50 32 54 52 491
Filières bacca -lauréat STT STT STTAC/CC/SG STT STTAC/A/ACC/CG/IG STI STT STTAC/C/AG STTC/STG  
Types Tertiaire Tertiaire Tertiaire Tertiaire Tertiaire Industriel Tertiaire Tertiaire Tertiaire  

 

    Sur cet ensemble, seul le Mexique possède une formation de niveau IV de type industriel, le reste des classes techniques ne concernant que le secteur tertiaire.

    Il convient d'ajouter à cela environ 67 élèves en BEP dans le reste du monde, là encore presque exclusivement en séries tertiaires, soit un total d'environ 600 élèves scolarisés en filière technique.

    A titre de comparaison, on a, en France métropolitaine, sur une année :

Baccalauréat technologique + baccalauréat professionnel 272957 45 %
Baccalauréat général 337846 55 %
Total 610813 100 %

 

 

    Ce qui, transposé à l'étranger, donne :

Baccalauréat technologique + baccalauréat professionnel 491
7 %
Baccalauréat général 6649
93 %
Total 7140
100 %

    Les chiffres sont suffisamment éloquents : l'effort fait en matière d'enseignement technique à l'étranger peut être considéré comme négligeable.

 

Tableaux extraits du rapport du ministère des Affaires étrangères "La formation professionnelle et l'emploi des Français à l'étranger" , mars 1999.

    Il n'y a donc presque pas de possibilité de réorientation des élèves en difficulté dans la filière générale vers une filière technologique. Les voies qui restent sont le maintien dans la filière générale, en situation d'échec, ou bien l'exclusion dénommée "orientation vers la vie active".

    La possibilité d'aller suivre une formation en France est quasi nulle pour des jeunes d'origine locale, sans relations familiales en France et sans moyens financiers. Et le manque de filières CAP/BEP se fait cruellement sentir puisqu’elles seraient les plus adaptées aux élèves qui ont des lacunes en langue française.

     

Effectifs scolarisés
en France
A l'étranger
Enseignements de niveau V
413625
67
Enseignements de niveau IV
209175
491

% des niveaux V rapportés au total des enseignements

techniques

66 %
12 %

    " Les populations en situation ou en voie d'exclusion, à la frange de la mouvance française, en échec scolaire, ou qui, faute de moyens, n'ont pas été scolarisées, n'accèdent donc à aucun dispositif d'enseignement technique ou de formation professionnelle. Le seul dispositif existant actuellement au niveau local, extrêmement réduit, est un dispositif de haut niveau nécessitant, entre autres, la maîtrise totale de la langue. "

        Extrait du rapport du ministère des Affaires

        étrangères "la formation professionnelle et

        l'emploi des Français à l'étranger", mars 1999.

    Les perspectives sont donc assez sombres car l'évolution sociologique des communautés françaises à l'étranger augmente chaque année le nombre d'élèves issus de milieux défavorisés ou modestes, peu préparés culturellement par leur famille à l'école française, et qui auraient besoin d'y être mieux accueillis, d'y trouver un accompagnement pédagogique et des filières technologiques à leur portée. Mais les expériences réalisées à Madagascar prouvent que les écoles françaises des PVD peuvent contribuer efficacement à la lutte contre l'exclusion sociale et que des solutions hors du réseau de l'AEFE sont susceptibles d’être mises en oeuvre.

    2) La santé

      · L'impossibilité de se soigner

    En Afrique et Océan Indien, en Amérique latine, l'impossibilité de se soigner est l'un des aspects majeurs de l'exclusion sociale dans les communautés françaises. C'est le souci principal des travailleurs sociaux des consulats. C'est l'angoisse de tous les Français à revenus faibles et intermédiaires rencontrés. Cet aspect de l'exclusion sociale déborde de beaucoup les milieux défavorisés. Il touche les classes moyennes, y compris les personnels recrutés localement par les services de l'Etat à l'étranger et par les écoles françaises. Au dessous d'un revenu familial de 4 500 FF/mois, les cotisations à la Caisse des Français à l'étranger (CFE) ou à la Mutuelle Familiale France Outre-Mer (MFFOM) excèdent 10 % de ce revenu, ce qui constitue une charge insupportable.

    Tous les phénomènes décrits en France à l'occasion de la préparation de la loi sur la couverture maladie universelle se rencontrent, dans ces communautés, mais sous une forme aggravée : consultations médicales reportées au delà du moment où la maladie était curable, sélection des médicaments les moins chers de l'ordonnance sans considération de leur efficacité, maladies chroniques, telles que le diabète, non soignées pour cause de traitement permanent trop onéreux, aucune prévention, vaccinations des enfants limitées à celles que les politiques de santé publique locales rendent accessibles dans un dispensaire. Evidemment, pas de soins dentaires ni d'examen ophtalmologique.

     

      · La faiblesse de l'offre sanitaire en Afrique de l'Ouest

    En Afrique de l'Ouest, à l'exception de Dakar, d'Abidjan et de Bamako, aucune clinique privée n’offre une alternative aux hôpitaux publics dégradés. C'est la même situation à Madagascar. La seule issue, pour la chirurgie et les maladies graves, est le rapatriement sanitaire vers la France et, pour Madagascar, la Réunion. Mais au-dessous de 4 500 FF de revenus mensuels, on ne bénéficie plus d'assurance rapatriement que d'assurance-maladie.

     

      · L'offre de santé en Tunisie

    La situation est moins difficile en Afrique du Nord. En Tunisie, certains services d'hôpitaux publics offrent un plateau technique et une qualité de soins satisfaisants. Ce sont l'hébergement et les soins infirmiers qui laissent encore à désirer. Plusieurs cliniques de qualité ont été ouvertes dans les grandes villes. Le corps médical atteint le même niveau de compétence qu'en France à des tarifs moins élevés. Par ailleurs, les salariés des grandes entreprises et les fonctionnaires bénéficient d'assurance-maladie avec remboursement à l'acte. La classe moyenne française n'est donc pas, comme en Afrique, privée d'accès à la santé. Mais les personnes à faibles ressources doivent supporter les conditions difficiles d'accès à l'hôpital public : attente pour les consultations, délais pour les soins, pour la chirurgie, manque d'hygiène.

      · Le coût exorbitant de la santé à Buenos-Aires

    A Buenos-Aires et, d'après les témoignages au CSFE, dans les autres pays de l'Amérique latine, les systèmes publics d'assurance-maladie ont cessé en pratique d'exister. Les hôpitaux publics se sont dégradés. Il ne reste qu'une médecine aussi onéreuse qu'aux Etats-Unis à laquelle donnent accès des assurances privées. Ainsi la "prépaga" (mutuelle) de l'Hôpital Français (qui avait été fondé par des Français, mais n'est plus français que de nom et n'a pas de lien avec l'ambassade) offre-t-elle, suivant le tarif, l'accès à un réseau plus ou moins complet de soins médicaux, hospitaliers, et la fourniture gratuite de certains médicaments dans des officines agrées. Pour une famille avec deux enfants, le plan " D plus " coûte 1 530 FF par mois.

  jeune familial plan "A" plan "A plus" plan "D plus" plan " d'or"
1 personne
40
35
69
87
123
163
2 personnes  
58
95
126
168
218
3 personnes  
78
115
153
212
278
4 personnes  
97
133
177
250
323
5 personnes  
106
134
183
255
333
6 personnes  
111
136
187
258
338
7 personnes  
116
138
191
262
343
individuel + 21 ans  
30
49
84
86
113
supplément + 60 ans  
23
23
23
38
50

Tarifs de la mutuelle de l'Hôpital Français (CEFRAN) - 1999
tarifs en pesos - 1 pesos = 6 Francs environ

         

      · L'aide médicale consulaire trop sollicitée

    Il résulte de cette carence d'accès à la santé qu'en 1998 la plus grande part des crédits de secours occasionnels accordés aux consulats est absorbée par l'aide médicale, au détriment de toutes les autres actions sociales nécessaires, en particulier en direction de l'enfance et des personnes frappées par une brutale disparition de leurs revenus. En 1998, à Tunis, l'aide médicale a absorbé près de 130 000 FF sur les 263 000 FF des secours occasionnels (soit près de 50 %), à Abidjan 31 180 FF sur 145210 FF (soit près de 22 %), à Tananarive 46 000 FF sur 840317 FF (soit 54 %), à Buenos-Aires l'aide médicale a absorbé 58 529 FF sur les 77 800 FF de secours occasionnels (soit 75 %).

      · Coût des soins médicaux en 1999 dans les pays étudiés

            Tunisie :

            - coût moyen d'une consultation de généraliste : 15 DT - 75 FF

            - coût moyen d'une consultation de spécialiste : 25 DT - 125 FF

            - coût moyen d'une analyse de sang standard : 27 DT - 135 FF

            - coût moyen d'une ordonnance avec un antibiotique et deux médicaments : 35 DT - 175 FF

            - coût moyen d'une journée dans une clinique convenable : 60 DT - 300 FF

            - coût moyen d'un accouchement en clinique : 500 DT pour l'acte seulement (2 500 FF) + 100 DT la journée d'hospitalisation obligatoire. A la maternité du secteur public, coût de l'acte : 200 DT (1 000 FF)

            Côte d'Ivoire :

            - coût moyen d'une consultation de généraliste : 150 FF

            - coût moyen d'une consultation de spécialiste : 175 FF

            - coût moyen d'une consultation d'une analyse de sang de base (sucre, cholestérol...) : 71 FF + 25 FF la prise de sang, soit un coût total de 96 FF

            En ce qui concerne les coûts suivants, j'ai pris exemple d'excès-palustre, car les prix varient selon la maladie

            ou la raison de l'hospitalisation :

            - coût moyen d'une ordonnance avec un antibiotique et deux médicaments : entre 110 et 130 FF

            - coût moyen d'une journée dans une clinique convenable : 750 FF

            - coût moyen d'un accouchement : entre 4 500 et 5 000 FF

            Argentine :

            - coût moyen d'une consultation : de 20 à 200 pesos - 120 à 1 200 FF

            - coût moyen d'une ordonnance avec 2 médicaments : 30 pesos - 180 FF

            - coût moyen d'une journée dans une clinique convenable : 300 à 600 pesos - 1 800 à 3 600 FF

            - coût moyen d'un accouchement : 800 à 2 000 pesos - 4 800 à 18 000 FF

            Madagascar : tarifs très variables

            - coût d'une consultation de généraliste : de 5 à 12 FF à l'Hôpital militaire

            20 FF à la polyclinique d'Ilefy

            en ville de 25 à 125 FF

            - coût d'une consultation de spécialiste : de 14 à 75 FF dans les deux institutions ci- dessus

            en ville : 150 FF

            - coût d'hospitalisation : clinique d'Ilefy, de 100 à 250 FF

            Hôpital militaire, de 200 à 1 000 FF

            - coût d'un accouchement : clinique d'Ilefy, 1 000 FF

            Hôpital militaire, de 200 à 1 000 FF

            - coût des analyses à l'institut Pasteur : prix expatrié d'un hémogramme classique (B 40), 60 FF

            prix non-expatriés, 20 FF

      · Baisse de l'aide médicale consulaire depuis 1996

    De plus, cette capacité à aider nos compatriotes à se soigner a baissé en chiffre absolu et en pourcentage des crédits totaux entre 1996 et 1999.

Secours occasionnels
1996 6 261 320 FF 6,65 % du chapitre 46-94-11-10
1999 5 157 170 FF 5,08 % " " " " " "

    Le ministère des Affaires étrangères a donc été amené à donner l'ordre aux consulats de restreindre les prises en charge - sauf cas exceptionnels - des personnes âgées et des handicapés allocataires. Ainsi, à Madagascar, les 400 enfants et conjoints des allocataires qui bénéficiaient auparavant d'une carte d'accès au centre médico-social en ont été privés.

    La situation d'ensemble est donc très sombre pour la santé des Français pauvres et à revenus intermédiaires dont on peut évaluer le nombre aux 60 000 adultes qui ne cotisent pas à la CFE et à autant d'ayants droit en Afrique et Amérique Latine. Leur mauvais état de santé chronique nuit à la réussite scolaire des enfants et diminue la capacité de travail des actifs.

      · Conclusion

    Les modalités d'un meilleur accès des Français à faibles revenus à l'assurance maladie par adhésion à la Caisse de Français de l'Etranger n'entrent pas dans le champ d'étude fixé par la lettre de mission du Premier ministre.

    En tout état de cause, l'examen des niveaux de revenus de la majorité des Français de la classe intermédiaire et des milieux défavorisés d'une part, l'offre de soins dans leur pays de résidence d'autre part, incitent à penser que l'adhésion à la CFE améliorerait la situation des seules personnes dont les revenus ne sont pas inférieurs à 4 500 FF soit aux deux tiers du demi-plafond de la sécurité sociale. En effet, les niveaux de revenus des familles bénéficiaires de bourses scolaires - qui ne sont pas les plus pauvres - ceux des 200 personnes en difficulté que j'ai interviewées montrent que les Français très démunis relèvent d'autres modalités d'accès à la santé. Avec 200 ou 300 FF de revenus mensuels à Madagascar, 2 000 à Tunis ou à Abidjan, il est impossible ou très difficile d'avancer les frais d'une consultation et d'une ordonnance et d'attendre le remboursement pendant 6 à 8 semaines. Ne parlons pas d'examens biologiques et radiologiques, de chirurgie et d'hospitalisation. La situation est la même à Buenos-Aires avec des revenus de 3 000 à 7 000 FF.

    Nous proposerons donc des solutions d'accès à la santé diversifiées selon les pays, en laissant le soin à chaque CCPAS de déterminer les modalités d'organisation les plus adaptées à la population et à l'offre sanitaire du pays, dans le cadre d'une enveloppe de crédits déterminée par la commission permanente de protection sociale.

 

 

3) Le retour impossible

    Revenir en France après un séjour durable à l'étranger, ou s'y installer lorsqu'on est un Français né à l'étranger, n'est possible que si l'on dispose d'un capital suffisant et de revenus assurés en France. Pour les Français frappés par l'exclusion sociale, ce retour ou cette insertion n'est pas réalisable sans appui institutionnel. Il faut, en effet, résoudre simultanément les problèmes suivants : accès au logement, recherche d'emploi, scolarisation des enfants, démarches administratives nombreuses, et le tout dans un pays qui a tellement changé que le Français de retour s'y sent étranger. Or il arrive un moment où la conjonction d'une situation personnelle difficile et de l'environnement social politique ou économique dégradé du pays de résidence font de l'installation en France le seul espoir de réinsertion sociale.

     

    En ce qui concerne les adultes, deux cas sont à distinguer :

      - les Français nés en France installés à l'étranger à l'âge adulte,
      - les Français natifs de l'étranger.

 

      · Les Français nés en France

    Les Français qui ont migré à l'âge adulte et qui connaissent l'échec dans leur expatriation ont beaucoup de peine à envisager le retour, surtout si ce sont des femmes (cf. "expatriation-rupture familiale") : ils avaient, en effet, conçu leur installation à l'étranger comme permanente et l'obligation de partir correspond à un échec à la fois personnel et matériel. "Revenir en France, c'est tout recommencer" dit l'une, à 31 ans. "Personne ne m'attend en France" dit une autre. Elles s'incrustent donc, au delà de toute raison, dans une situation impossible : isolées avec leurs enfants, avec des ressources insuffisantes ou aléatoires, dans des emplois non déclarés, et sans possibilité de se constituer une retraite. C'est vrai parfois aussi des couples de 30 à 40 ans. Pour ces cas-là, il faudrait que les services sociaux du consulat puissent aider à la prise de conscience et à la décision, et que l'appui du CEFR (Comité d'Entraide aux Français Rapatriés) puisse être obtenu, parce qu'il est encore temps d'échapper au piège.

    Les mêmes réticences au retour sont le fait des chômeurs de plus de 50 ans, des victimes d'une faillite mais, dans ces cas, l'aide sociale locale est probablement préférable au retour en France.

      · Les Français natifs de l'étranger

    Les Français natifs de l'étranger en très grande détresse n'ont pas les mêmes réticences car ils ignorent les difficultés de la vie en France : la France est pour eux l'inconnu, à la fois attrayant et terrifiant. Le rôle du service social du consulat est de les aider à préparer cette migration au lieu de la fantasmer. Les circonstances locales, par exemple le chômage massif à Djibouti et dans certains pays d'Afrique de l'Ouest, rendent parfois l'insertion impossible sur place. Pour des célibataires, et surtout pour des couples de 30 à 40 ans avec de jeunes enfants, qui ont un minimum de formation scolaire et sont capables d'accéder à une formation professionnelle, le rapatriement doit être accordé : les résultats du CEFR prouvent en effet que leur insertion en France peut être une réussite dont bénéficieront tout particulièrement les enfants.

      · Personnes âgées

    En ce qui concerne les personnes âgées, isolées et malades, dans les pays où aucune structure d'accueil locale n'existe, le rapatriement avec hébergement dans une maison de retraite est la bonne solution, si l'opportunité en est offerte assez tôt à une personne encore capable de supporter le déracinement.

      · Retour en France pour formation professionnelle

    Enfin, une politique de rapatriement et de formation professionnelle est nécessaire pour les jeunes qui ne peuvent pas bénéficier de formation sur place - solution bien préférable au demeurant, de même pour les adultes qui ont besoin d'un recyclage.

      · Restriction de l'accès au rapatriement depuis 1996

    Le ministère des Affaires étrangères a été amené, faute de crédits, à restreindre les rapatriements pris en charge depuis 1996 comme en témoignent le tableau et les graphes ci-dessous.

 

1996
1997
Acceptés
Refusés
Acceptés
Refusés
Acceptés
Refusés
Afrique du Nord
85
0
80
9
21
3
Afrique francophone
151
25
161
55
153
33
Afrique non francophone
0
0
7
0
8
0
Amérique centrale et du Sud
26
0
14
7
14
0
Amérique du Nord
11
2
2
1
7
0
Asie/Océanie
47
0
33
0
14
4
Europe
18
2
11
1
9
0
Europe de l'Est
68
2
29
0
21
4
Proche/ Moyen Orient
20
0
2
0
16
0
Total
426
31
339
73
263
44
Pourcentage
7%
18%
14%

    Statistiques rapatriements (toutes catégories confondues) - Acceptés / Refusés

    Les rapatriements pour indigence forment l'essentiel du total. Les rapatriements sanitaires, pour études supérieures et formations professionnelles n'atteignent pas 5 unités par an.

    Le faible pourcentage de refus s'explique par le fait que les consulats ne constituent des dossiers que s’ils ont des chances d'être acceptés par le ministère. La demande est bloquée en amont. Or, l'enquête prouve qu'elle a augmenté au fur et à mesure que les allocations à durée déterminée étaient supprimées. La privation de cette ressource pousse depuis trois ans les Français les plus démunis à Madagascar et Abidjan, à demander leur rapatriement. Faute de l'obtenir, la famille s'endette pour payer le voyage du père ou d'un fils. Une fois le RMI obtenu, cet éclaireur s'efforcera de faire venir le reste de la famille. Toutes les conditions sont ainsi remplies pour garantir l'échec de l'insertion professionnelle et sociale de ces Français de l'étranger très démunis.

 

      · Annexes : évolution des grandes zones géographiques depuis 1996

 

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