Deuxième partie

Pour une politique consulaire de lutte contre l'exclusion sociale (suite)

 

II - DE L'AIDE SOCIALE CONSULAIRE A LA LUTTE CONTRE L'EXCLUSION

 

    Pour passer de l'aide sociale consulaire à la lutte contre l'exclusion, il faudrait conférer une large autonomie aux CCPAS afin qu'ils conçoivent et organisent une politique locale avec l'appui de services sociaux renforcés et réorganisés.

 

    1. Conférer une large autonomie aux CCPAS
    (Comités consulaires de protection et d'aide sociale)

    La diversité des communautés françaises et la multiplicité des formes de l'exclusion sociale imposent une adaptation locale des politiques menées par les CCPAS. Ceux-ci doivent donc disposer d'une plus large autonomie. Ils ne devraient plus être, comme ils le sont parfois, la chambre d'enregistrement des aides décidées, en fonction du règlement, par le service social du consulat. Il ne faudrait plus qu'une de leur seules fonctions soit de demander annuellement une augmentation du taux des allocations et de discuter du bien-fondé de la subvention à la société de bienfaisance locale et de son montant.

      · Des CCPAS différents selon les continents.

    La fonction du CCPAS ne peut pas être la même en Europe du Nord, où la France n'a pratiquement pas d'aide sociale à distribuer puisque le système local y pourvoit, et en Amérique Latine ou en Afrique, où le consulat est le seul recours du Français en détresse.

    En Europe, le CCPAS et le CCEFP gagneraient à mieux coordonner leur action car l'aide la plus utile à nos compatriotes, sur ce continent, est l'appui à la recherche d'emploi. Cette coordination ne peut que donner des résultats plus efficaces dans le reste du monde. Dans les pays où une antenne OMI est implantée, sa collaboration avec le CCPAS et le CCEFP serait des plus profitables. Mais en Afrique, en Amérique Latine, les CCPAS devraient être plus actifs, pouvoir se réunir une fois par trimestre, avoir un bureau exécutif et, le cas échéant, des commissions spécialisées. Car, dans ces pays, face à plusieurs centaines et jusqu'à plusieurs milliers de Français en difficulté, il faut décider d'une politique et se donner les moyens de la mettre en oeuvre.

 

    2. Concevoir et organiser une politique locale de lutte contre l'exclusion

    Dans les pays où l'exclusion sociale frappe une partie notable de la communauté française, chaque CCPAS pourrait élaborer un projet d'action tri-annuel - ajustable chaque année - fondé sur une étude des situations particulières de pauvreté et d'exclusion sociale dans la circonscription consulaire. Ce projet répertorierait les actions souhaitables et les actions possibles en direction des publics en difficulté. Il fixerait des priorités et un échéancier. Sur le plan budgétaire, les instructions consulaires pourraient préciser, comme c'est le cas actuellement pour les allocations à durée déterminée, les montants maxima des allocations de secours d'une part, et des actions de prévention ou de remédiation d'autre part, que le CCPAS pourrait répartir sans autorisation préalable du ministère. Le contrôle de l'affectation de ces crédits serait réalisé comme aujourd'hui par un rapport annuel d'évaluation de l'activité du CCPAS comportant un volet comptable enrichi d'un volet descriptif. Un rapport d'évaluation tri-annuel permettrait d'évaluer l'action sur la période de trois ans écoulée et de préparer le programme d'action tri-annuel suivant.

    Une telle montée en puissance des CCPAS n'est possible qu'aux conditions suivantes :

        - une composition plus représentative et plus "professionnelle".

        - une augmentation de la part de crédits non affectés du CCPAS.

        - une modernisation des "sociétés de bienfaisance".

      · La composition du CCPAS

    Actuellement, le CCPAS est nommé par le consul. Sa composition actuelle doit être maintenue, mais il devrait être possible de donner l'initiative aux deux associations reconnues d'utilité publique, ADFE et UFE, de désigner à parité des personnalités répondant à des critères sociaux et techniques déterminés par les instructions consulaires : personnes déjà impliquées dans l'action sociale au sein des diverses associations françaises, des sociétés de bienfaisance, travailleurs sociaux qualifiés, professionnels de la santé. Pour les postes consulaires dont la population est répartie entre plusieurs villes, le critère géographique devrait aussi être retenu pour la nomination de quelques uns des membres du CCPAS. L’ADFE et l’UFE assumeraient ainsi pleinement, aux yeux de la communauté, la responsabilité de la bonne marche du CCPAS aux côtés de l’administration. Ces désignations pourraient se faire par consensus entre les deux présidents des associations, après consultation de leurs bureaux respectifs, et ils reviendrait au consul, président du CCPAS, d'arbitrer en cas de désaccord. Les délégués au CSFE resteraient membres de droit. En fonction de l'ordre du jour, fixé par le bureau exécutif, un représentant de la CLB et du CCEFP pourraient être invités, avec voix consultative.

      · Une augmentation de la part des crédits non affectés

    Il faut sortir du système rigide actuel, avec 88 % des crédits affectés aux seules allocations permanentes, au profit d'un système qui permette d'activer le plus de dépenses d’aide sociale possibles. Cela implique que les augmentations de crédits d'aide sociale soient prioritairement affectées, à l'avenir, aux allocations à durée déterminée et aux secours occasionnels. Nous proposerons la suppression des A.D.D et leur remplacement par des allocations plus modulées, plus ciblées, et des formules telles que le prêt pour micro-investissements, dont le CCPAS aurait l'initiative et la responsabilité.

      · Une modernisation des sociétés de bienfaisance

    Actuellement, une proportion notable des sociétés de bienfaisance est sclérosée, que ce soit dans la composition de leurs instances, rarement renouvelées et rajeunies, ou dans leurs modalités d'action. Là où elles ont su s'ouvrir, sans exclusive, à la diversité de la communauté française, là où elles sont devenues des associations d'entraide, travaillant en bonne complémentarité avec le CCPAS, le comité consulaire pour l'emploi et la commission des bourses scolaires, un réel progrès a été enregistré. Cela ne peut pas se décréter. Mais le ministère des Affaires étrangères pourrait fixer à ses ambassadeurs, assistés par les consuls, l'objectif d'aider ces structures à évoluer. C'est une tâche dans laquelle un diplomate peut prouver qu'il a les talents de sa fonction.

    Une association d'entraide périodiquement renouvelée et rajeunie, donc dynamique, pluraliste sur les plans sociologiques et politiques, pourrait développer des actions innovantes dans une logique d'insertion, sur le modèle des "associations-relais" du consulat de Pondichéry : organisation d'activités périscolaires en milieu francophone telles que des centres de loisir, des colonies de vacances, des foyers-internats pour les élèves du réseau AEFE, etc.

 

    3- Organiser les services sociaux consulaires

    "La mission des assistants sociaux est d'aider les personnes, les familles et les groupes connaissant des difficultés sociales, à faciliter leur insertion et à rechercher les causes qui compromettent l'équilibre psychologique, économique et social de ces personnes" (décret du 1-8-91 relatif aux assistants sociaux des administrations de l'Etat).

    Si le travail social en France est déjà confronté à de nombreuses contradictions, entre les individus et les institutions, entre l'action sociale et l'assistance, entre les besoins exprimés et les réponses possibles, il prend à l'étranger un caractère encore plus complexe. Les assistants sociaux français y sont confrontés à deux législations, la loi française et la loi locale, et à des populations diverses : Français venus de France, Français natifs du pays, double nationaux, conjoint(e)s de ressortissant(e)s du pays d'accueil. Autant de groupes dont la culture, les attentes sociales et les besoins sont très différents.

    Une bonne connaissance de la législation française est nécessaire aux assistants sociaux pour diffuser une information fiable aux immatriculés. Leur formation de base leur confère la capacité de s'initier à la législation locale et aux conventions bilatérales ou multilatérales qui régissent pour partie la vie des Français à l'étranger.

    Or, pour faire face à une tâche plus lourde et plus ardue qu'en France, le ministère des Affaires étrangères, à l’exception de 9 postes consulaires, ne dispose pas d'assistants sociaux de métier.

    La création de postes d'assistants sociaux est donc impérativement le préalable à toute politique de lutte contre l'exclusion dans les communautés françaises à l'étranger.

    Imagine-t-on, en France, une ville de 12 000 habitants avec une seule assistante sociale ? C'est le cas de la communauté française de Tunisie. Une ville de 17 000 habitants avec une seule assistante sociale ? C'est le cas de la communauté française de Madagascar. Une ville de 3000 à 5000 habitants sans aucune assistante sociale ? C'est le cas des communautés françaises du Bénin, du Cameroun, du Mali, du Togo, de Colombie, du Pérou, de Pologne etc., communautés où la population des résidents permanents connaissent de réelles difficultés.

    En fait, on distingue deux types de communautés françaises qui ont besoin de services sociaux et d’agents aux caractéristiques spécifiques, certains cas étant mixtes : les pays pauvres avec des communautés françaises paupérisées et les pays développés où les néo-émigrants français affluent.

    3.1. Pays pauvres - Communautés françaises paupérisées.

    Une communauté française paupérisée a absolument besoin d’un(e) assistant(e) social(e) professionnel(le) et bien formé(e) aux particularités du travail à l'étranger. Qu'il s'agisse d'un assistant social détaché au ministère des Affaires étrangères ou d'un assistant social de formation française recruté localement, à la limite, peu importe. L'essentiel est qu'il y en ait un, parfois deux pour les communautés les plus nombreuses, et qu'ils puissent se consacrer à leur fonction en étant déchargés des tâches administratives de gestion des allocations.

    Pour répondre réellement aux besoins, il faudrait idéalement que tous les postes de plus de 3 000 immatriculés résidents permanents, dont une proportion notable a de faibles revenus, soient dotés d'un assistant social de métier et de 2 assistants au-dessus de 10000 à 11 000 immatriculés : un assistant social au Bénin, au Burkina Faso, à Djibouti, au Gabon, au Mali, au Togo, au Chili, au Mexique, au Venezuela, en Thaïlande, en Pologne, en Turquie, en Egypte, à Jérusalem; deux assistants sociaux en Tunisie, au Cameroun, en Argentine, au Brésil, en Israël, au Liban, à Pondichéry; trois assistants sociaux au Maroc et à Madagascar. Soit un total de 37 postes.

    Or, le ministère des Affaires étrangères ne dispose actuellement que de 9 postes et subit depuis 1993 de sévères réductions d'effectifs qui ont particulièrement dégarni les consulats. Quand on sait que de nombreux postes n'ont plus suffisamment de personnels qualifiés pour le service de l'état civil ou celui des immatriculations, il peut paraître évidemment irréaliste d'affirmer que 37 postes d'assistants sociaux sont nécessaires pour ces pays. Il n'en reste pas moins que l'objectif de donner aux consulats la capacité de remplir convenablement une mission de lutte contre l'exclusion sociale est un objectif qu'il faut se fixer, sous peine de se condamner à l'impuissance. Il n'y a aucune raison de se résigner à ce que les Français établis à l'étranger restent les parents pauvres du service public.

      · Organisation du service social dans les pays pauvres

    - Dans les petits postes (3 000 à 5 000 immatriculés) le même assistant social de métier est apte à gérer les trois pôles de la lutte contre l'exclusion sociale.

        - action sociale (prévention - remédiation)

        - bourses scolaires

        - bureau pour l'emploi

    C'est le meilleur cas de figure car l'assistant social est en mesure de prendre en considération la personne en difficulté dans son contexte familial et social, et les différents aspects qui concourent à son exclusion : mauvais état de santé, insuffisance de ressources, difficulté à scolariser les enfants, etc.

    Là, le lien indissociable entre formation, emploi, action sociale est assuré, surtout si une bonne collaboration est établie avec l'école, l'association d'entraide, le bureau de l'OMI s'il y en a un.

    - Dans les grands consulats, de 10 000 à 20 000 immatriculés, on se heurte à la difficulté d'organiser la cohérence d'un service social où les tâches sont réparties entre trois responsables et leurs adjoints. La coordination, condition d'efficacité, n'est pas réalisée par des échanges rapides à l'occasion de rencontres dans les couloirs. L'envoi des personnes en difficulté d'un bureau spécialisé à un autre est un premier pas, mais il n'est pas suffisant. Il est nécessaire que les trois services - action sociale, bureau pour l'emploi et bourses scolaires - fassent un point, bimensuel par exemple, sur les cas qu'ils traitent, afin de confronter leurs perceptions respectives de la personne et de sa situation, leur connaissance de la famille, des antécédents, ce qui permettrait de mettre au point une stratégie commune d'action sociale, en collaboration avec les acteurs extérieurs (école, centre de formation professionnelle, AFPA, CEFR, association d'entraide, etc.).

    Il serait bon que cette coordination soit placée sous la responsabilité d'un des adjoints directs du consul, ce qui valoriserait le service social et sa fonction.

     

    3.2. Union européenne - pays industrialisés

    Le plus grand nombre de Français est fixé ou émigré dans l’Union Européenne et en Amérique du Nord. Dans ces pays, la fonction essentielle serait d'informer les Français sur les notions de base relatives au droit social, au droit du travail, à l'organisation des services sociaux du pays où ils s'installent. Il ne s'agit pas de se substituer aux structures locales. Il s'agit simplement d'initier et d'orienter les Français. Un bon exemple, celui du consulat de consulat de France à Londres qui publie des fiches très pédagogiques sur le système de santé, les retraites, etc.

    Dans ces pays, il faut donc recruter un agent doté d'une bonne formation juridique de base, bon connaisseur du pays d'accueil et qui en maîtrise la langue. Il s'agit plus d'un(e) "conseiller(e) social(e)" que d'un(e) assistant(e) social(e). Comme le titre de "conseiller social" est déjà porté par un agent du poste diplomatique, le terme " d'agent social " marquerait le fait que la fonction est assez différente de celle remplie par l'assistant social dans les pays pauvres. Il serait d'ailleurs souhaitable que le conseiller social de l'ambassade ait un lien avec le consulat et soit l'expert auquel le service social peut avoir recours. Le cloisonnement des services est particulièrement contreproductif dans ce domaine.

    Ce type d'agent social serait nécessaire dans les consulats de l'Union Européenne, au Canada, aux Etats-Unis côte Est et côte Ouest, en Suisse (un à Genève ou à Zurich), soit une vingtaine d'agents.

    L'aide à la réussite de l'expatriation serait moins coûteuse que la réparation des échecs, même si, pour obtenir ce résultat, la création d'emplois dans les postes consulaires est nécessaire.

 

    3.3. Cas mixtes

    Certains pays d'Europe reçoivent beaucoup de migrants précaires : Londres, Barcelone, Madrid, Milan, Rome, etc. Dans ces postes l'assistant(e) social(e) a les deux fonctions à jouer : information et assistance, et il y faut des professionnels de tout premier ordre.

     

    Conclusion

    La forte volonté politique qui avait conduit le ministère des Affaires étrangères, de 1981 à 1985, à donner une dimension sociale à l'activité consulaire doit être réactivée et adaptée aux communautés françaises actuelles  : depuis lors, elles se sont appauvries et fragilisées dans le Tiers-Monde et comportent partout une majorité de résidents à revenus locaux, plus sensibles aux aléas de la vie et de la conjoncture économique que les expatriés à hauts revenus de jadis.

    Donner aux consulats les personnels nécessaires à l'accomplissement de leur tâche administrative et de leur fonction sociale seraient deux signaux politiques forts d'une prise en compte des besoins réels de la population française installée à l'étranger, dont la France a besoin pour son rayonnement et ses échanges commerciaux.

 

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