Chers amis,
Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint une note dans laquelle je me suis efforcée de faire la synthèse des raisons pour lesquelles le ministère des Affaires étrangères a brusquement mis un terme au détachement administratif des enseignants français exerçant à l'étranger, en structures étrangères ou écoles françaises homologués, entraînant le suppression de leur affiliation à la sécurité sociale.
Le jugement « Papet-Perin » du 5 février 2002 (enseignant syndiqué soutenu par la FSU) qui déclarait illégal le «détachement administratif» d'un fonctionnaire sur la base du décret 61-421 dans une école privée étrangère (OSUI-Maroc) et condamnait le ministère des Affaires étrangères à verser à ce professeur des indemnités de résidence sur la base du décret du 5 mai 1950, a contraint le ministère des Affaires étrangères à rechercher d'autres fondements juridiques au détachement de plusieurs milliers d'enseignants.
Pendant un an, il a été difficile d'obtenir des informations sur l'évolution du dossier en raison des conflits entre les ministères concernés (ministère des Affaires étrangères, ministère de l'Education nationale, ministère de la Fonction publique).
Jusqu'aux premiers jours de juillet 2003, le passage du détachement « administratif » (par le ministère des Affaires étrangères) au détachement « direct » (par le ministère de l'Education nationale), solution défendue par le ministère des Affaires étrangères sur la base du décret de 1985 a paru sans incidence négative sur la carrière et la rémunération des fonctionnaires détachés.
Tous ces personnels ont été mis devant le fait accompli en juillet 2003 quand ils ont appris par la rumeur qu'ils ne bénéficieraient plus de la sécurité sociale française.
En fait, c'est de l'absence de statut précis qu'ils ont été victimes. La juxtaposition de décrets, abrogés puis remplacés sans que la superposition des textes soit toujours parfaite a fatalement débouché sur une issue préjudiciable. L'amateurisme juridique du ministère des Affaires étrangères se manifeste trop souvent.
J'ai essayé d'être la plus précise possible, à partir d'informations prises ça et là car on ne peut pas dire que les différents ministères aient joué leur rôle dans la compréhension du système.
J'ai recherché tous les décrets, abrogés ou en cours de validité, que je transmettrai volontiers à celles et ceux qui me le demanderont.
Monique Cerisier ben Guiga
Sénatrice des Français établis hors de France
Le 4 novembre 2003
Note d'informationJusqu'au 1er septembre 2003, les fonctionnaires de l'éducation nationale qui s'expatriaient bénéficiaient d'un détachement dit « administratif » auprès du ministère des Affaires étrangères, qui les affectait à l'étranger.Evolution du statut des fonctionnaires détachés à l'étranger dans le secteur culturel (AEFE, Centres culturels, Institutions étrangères).
" Précision sur les notions de détachement « direct » et de détachement administratif
Le « détachement administratif » n'a jamais existé en droit. Le ministère des Affaires étrangères a « créé » cette notion au début des années 70 comme un moyen simple de détacher des fonctionnaires qui partaient en poste à l'étranger, sur toute catégorie de poste. C'était une application extensive du décret 61-421 du 2 mai 1961 destiné aux seuls personnels de coopération technique et culturelle (Décret 61-421 du 2 mai 1961 paru au Journal officiel du 4 mai 1961 « portant règlement d'administration publique pour la fixation de certaines dispositions statutaires applicables aux fonctionnaires de l'Etat et aux magistrats de l'ordre judiciaire, détachés hors du territoire européen de la France pour l'accomplissement d'une tâche de coopération technique ou culturelle »).Au milieu des années 80, la direction du budget a alerté le ministère des Affaires étrangères sur l'irrégularité de la procédure et ce, d'autant plus que le décret de 1961 sur lequel se fondaient ces détachements, avait été abrogé par les décrets 73-321 du 15 mars 1973 et 80-344 du 12 mai 1980. Mais, cela constituait une telle facilité de gestion pour l'administration et un tel avantage pour les agents, puisqu'ils étaient en pratique « agents du ministère des Affaires étrangères », qu'ils cotisaient pour leur retraite et que leur carrière administrative se poursuivait, que le ministère des Affaires étrangères a persisté dans ce système. De plus, la direction du budget n'a jamais donné l'injonction ferme d'y mettre fin.
Les agents concernés étaient tous les enseignants employés dans des structures telles que les établissements d'enseignement homologués par le MEN, des écoles de l'AEFE, des écoles ou des universités étrangères.
Le détachement « direct » est une facilité de langage. En réalité, si un fonctionnaire est « détaché », il ne peut l'être que par son ministère de rattachement et auprès de son employeur véritable.
Rappelons que ce détachement administratif avait un coût pour le ministère des Affaires étrangères : coût de la gestion des agents et versement à la sécurité sociale d'une cotisation de 1% assise sur le traitement indiciaire dans le corps d'origine de l'agent, afin qu'ils bénéficient de l'assurance-maladie pendant leurs congés en France. Ce coût modique était accepté par le ministère des Affaires étrangères en contrepartie des services rendus par les agents ainsi détachés.
Jugement Papet-Perin (5 février 2002).
M. Papet-Perin, détaché administratif auprès d'un établissement de l'OSUI (Mission Laïque) au Maroc a porté plainte devant le tribunal administratif de Strasbourg contre le fait que la rémunération (équivalente à celle d'un «résident» de l'AEFE) que lui versait cette école privée ne comprenait pas l'indemnité de résidence prévue tant par le décret du 28 mars 1967 que par le décret du 5 mai 1950. Pour le tribunal, la requête de M. Papet-Perin est recevable car, même si son détachement était irrégulier, au regard de la législation et des décrets d'application, l'administration devait assumer ses turpitudes et lui verser des indemnités de résidence.
Le tribunal administratif lui a donné gain de cause au motif que, selon lui, le décret du 5 mai 1950 régissant le détachement de professeurs français à l'étranger s'appliquait dans son cas. En effet, selon le tribunal, le décret de 1990 ne concerne que les écoles de l'AEFE et n'abroge pas le décret de 1950 pour les professeurs détachés hors de ce réseau. Or, ce décret de 1950 prévoit le versement d'une indemnité de résidence au professeur détaché. Le ministère de son côté défendait la thèse selon laquelle le décret du 28 mars 1967 (qui s'applique à la majorité des fonctionnaires en poste à l'étranger) avait implicitement abrogé le décret du 5 mai 1950.
Le ministère ayant été condamné à verser une indemnité de résidence à M. Papet-Perin, il en a tiré la conséquence que le « détachement administratif » ne pouvait plus servir de base au détachement à l'étranger de tout fonctionnaire exerçant dans un établissement privé étranger, hors assistance technique ou réseau de l'AEFE, soit 3000 à 4000 agents dans le monde.
Les conséquences de ce jugement :
Le ministère des Affaires étrangères n'a pas fait appel de ce jugement auprès du Conseil d'Etat craignant s'en doute de se voir débouté et entraînant la jurisprudence selon laquelle tous les détachés enseignants auraient pu bénéficier d'une indemnité de résidence au titre du décret de 1950 s'ils ne relevaient ni du décret de 1967 (ex. pour les assistants techniques des centres culturels) ni du décret de 1990 (AEFE)). Selon le juge du tribunal administratif de Strasbourg, le décret de 1950 s'applique à tous les enseignants non couverts par les décrets ultérieurs de 1967 et 1990, ce qui est le cas des personnels détachés dans des écoles étrangères privées.
Le jugement « Papet-Perin » a donc signé l'arrêt de mort du « détachement administratif ».
La solution retenue a été le « détachement » selon le décret du 16 septembre 1985 qui autorise le détachement des fonctionnaires dès lors que la fonction accomplie relève de l'enseignement (même si le fonctionnaire n'est pas enseignant).
On a traité d'abord le cas des fonctionnaires du ministère de l'Education nationale : environ 3000 personnes soit les ¾ des fonctionnaires concernés.
Des télégrammes diplomatiques ont été envoyés à tous les postes dès janvier 2003 pour expliquer les modalités du détachement « direct » afin que tous les fonctionnaires concernés soient informés et constituent les dossiers ad hoc. De toute évidence, cette information n'a pas été correctement diffusée puisqu'à la fin de juin 2003, de nombreux « détachés » ignoraient encore que leur mode de détachement allait changer.
La perte de l'assurance-maladie du régime des fonctionnaires
Le versement d'une cotisation de 1% du salaire pour faire bénéficier les agents détachés de la sécurité sociale pour les soins effectués en France a été supprimée par le ministère de l'éducation nationale qui est désormais le ministère gestionnaire des détachés enseignants à l'étranger (hors AEFE et assistance technique), pour les personnels détachés, à la demande du ministère des Affaires sociales.
Les conséquences de la perte de l'affiliation à la sécurité sociale pour les soins dispensés en France sont distinctes selon que les détachés résident ou non dans l'Union européenne.
- Hors Union européenne :
Tous les « détachés », y compris les anciens « résidents » du réseau de l'AEFE doivent être affiliés au régime de protection sociale local s'il est obligatoire et/ou s'affilier à la Caisse des Français de l'Etranger, pour le risque maladie.Sur ce point, le ministre des Affaires étrangères fait référence aux textes suivants :
« L'article 45 du titre II du statut général des fonctionnaires dispose que le « fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement ». De même, l'article D.712-2 du Code de la sécurité sociale prévoit que, sauf dans trois cas qui ne concernent pas les agents en service aux Etats-Unis, le fonctionnaire détaché est soumis au régime d'assurance applicable à la profession qu'il exerce par l'effet de son détachement. Les agents recrutés par les établissements privés américains à programme français, sur des contrats de droit local, doivent donc être affiliés au régime de protection sociale américain. Les fonctionnaires français détachés et engagés par les établissements simplement homologués, sur des contrats de droit américain, étaient déjà affiliés au système de protection sociale local. » [Lettre de D. de Villepin du 20 juillet 2003 à M. Cerisier ben Guiga en réponse à sa lettre du 9 juillet 2003].
- Dans l'Union européenne :
La réglementation européenne en matière de sécurité sociale prévoit que les travailleurs, qui se déplacent au sein de l'Union pour y exercer une activité professionnelle pendant plus d'une année, sont soumis à la législation de l'Etat sur le territoire duquel est effectué le travail.
Pour les personnels « détachés administratifs » recrutés locaux, l'affiliation aux régimes français a été maintenue dans certains établissements à autonomie financière, particulièrement en Europe du Sud. A la suite du recours déposé par le gouvernement espagnol à Bruxelles, le Département, en liaison avec le ministère des affaires sociales a demandé aux établissements à autonomie financière d'affilier aux régimes locaux (maladie et retraite) les «détachés administratifs» recrutés locaux. Un sursis a néanmoins été obtenu jusqu'au 31 août 2004.Conclusion :
Les personnels détachés à l'étranger, leurs représentants syndicaux, leurs élus du CSFE et les sénateurs n'ont pas reçu, en temps et en heure, l'information complète qui leur aurait permis d'agir efficacement pour lutter contre les conséquences négatives des deux changements en cours. Qu'il s'agisse de la nature juridique du détachement ou de l'assurance-maladie, les éléments dont je me suis efforcée de faire la synthèse ne nous ont été communiqués que par bribes et trop tardivement.Cette gestion des personnels témoigne de ce qu'on ne peut guère que nommer mépris envers les fonctionnaires, les citoyens et les élus. Elle scandalise l'élue que je suis et témoigne de conceptions des relations sociales et de la vie démocratique qui se situent aux antipodes des miennes.
Monique Cerisier ben Guiga
Sénatrice des Français établis hors de France