La diplomatie de la France est aussi culturelle

LE FIGARO

par Olivier Poivre d’Arvor

Après l’annonce de la baisse des crédits consacrés par le Quai d’Orsay à la culture, le directeur de CulturesFrance défend la politique du ministère des Affaires étrangères en la matière.

La France, décidément, est masochiste. Un jour, reprenant un dossier à charge antifrançais de Time Magazine nous expliquant que la culture française est morte, nos compatriotes se sont mis à douter d’eux-mêmes. Aujourd’hui, il est de bon ton, dans les salons et autres cafés du commerce, de dire que le Quai d’Orsay ne porterait plus assez son ambition de diplomatie culturelle et de craindre que les crédits de l’action culturelle extérieure soient en baisse.

Analyse paradoxale ! C’est justement aujourd’hui que se manifeste de manière très pragmatique et déterminée une véritable volonté politique, celle de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, de placer l’action culturelle extérieure au cœur de la diplomatie, que les Français s’inquiètent de savoir si leur pays a encore les moyens de parler au monde, ou du moins d’être entendu par celui-ci.

D’une certaine manière, l’inquiétude de nos compatriotes me rassure. Elle manifeste enfin une forme d’intérêt pour une « cause majeure». Depuis près de vingt ans, tant en poste à l’étranger qu’à la tête de l’agence qui est en charge des relations culturelles du Quai d’Orsay, CulturesFrance, je me désespérais que nos « affaires » intéressent aussi peu journalistes et hommes politiques. Notre langue, notre culture, notre capacité de dialogue avec les cultures des autres, notre rayonnement à l’étranger, une tradition pourtant ancienne, datant des Lumières, un terrain sur lequel notre pays, aux quatre coins du monde, est attendu, espéré, désiré : voilà bien des sujets pourtant mobilisateurs qui ne faisaient pas recette, faute probablement d’enjeux électoraux !

Quelque chose est en train de changer en France, dans l’appareil d’État, et dans la conscience des Français. Je suis reconnaissant à Bernard Kouchner, connu et apprécié pour sa capacité à se mobiliser pour des causes d’urgence, d’avoir intuitivement placé cette dimension culturelle au titre des priorités - des urgences ! - de notre agenda en ce début d’année 2009. Car nous ne sommes plus les seuls, dans le monde, à penser qu’il s’agit là d’une manière moderne et attractive de faire de la diplomatie. Les Chinois ouvrent des centres culturels, les Confucius Center, dans le monde entier. Nos grands voisins européens, Allemands, Britanniques, Espagnols, investissent de plus en plus dans ce champ. Un signe, venu de Washington, ne trompe pas l’Administration de Barack Obama, après que les États-Unis ont, des années durant, abandonné toute ambition dans ce domaine, se préoccupe déjà comme nous au Quai d’Orsay de « reconquérir » les cœurs et les esprits du monde par la culture, la création, l’échange. À peine nommée, Hillary Clinton, nouvelle secrétaire d’État, vient d’ailleurs de déclarer: « Nous devons recourir à ce qu’on appelle le pouvoir intelligent, à l’ensemble des outils à notre disposition. Diplomatique, économique, militaire, politique, légal et culturel. Choisir le bon outil ou l’ensemble de bons outils pour chaque situation. Avec le pouvoir intelligent, la diplomatie sera l’avant-garde de la politique étrangère. »

« Le temps n’est plus à gloser sur notre soi-disant influence perdue ou à comptabiliser l’état des seules subventions publiques à l’action culturelle extérieure. La volonté politique est là, désormais ».

Sur fond d’une crise financière et économique qui nous ramène à l’essentiel, à nos valeurs fortes, la France a ainsi une carte magnifique à jouer, une carte qu’on lui dispute rarement : celle de ce « pouvoir intelligent » sur lequel travaillent aujourd’hui, de Hillary Clinton à Bernard Kouchner, les grandes chancelleries du monde entier. De Claude Lévi-Strauss à J.M.G. Le Clézio, de Marion Cotillard à Jean Nouvel, de Philippe Starck à Daniel Buren, nos « ambassadeurs » culturels portent très haut l’image d’une France intelligente, ouverte, créative, moderne dans le monde.

Mais je le dis et je l’affirme sans, craindre les tabous: nous devons repenser nos modes d’action, d’intervention. À l’heure du numérique, d’Internet, alors que fait rage la bataille des images, il faut s’autoriser à redéployer nos crédits, à ne pas considérer que seuls nos vaillants centres culturels français, avec à leur tête des fonctionnaires envoyés de Paris, sont la manière ultime d’affirmer notre influence.

En privilégiant pour plus de 100 millions d’euros l’accueil de 180 000 étudiants étrangers dans le monde, en maintenant, malgré un contexte budgétaire très difficile, le soutien à nos alliances françaises, à l’apprentissage de la langue française, à nos lycées français dans le monde, celui à nos artistes et intellectuels français pour rayonner, créer et intervenir dans le monde, Bernard Kouchner a fait des choix clairs. Privilégier l’action, le mouvement, la création, l’échange plutôt que de vouloir conserver, à tout prix, certains dispositifs essoufflés.

Le temps n’est plus à gloser sur notre soi-disant influence perdue ou à comptabiliser l’état des seules subventions publiques à l’action culturelle extérieure. La volonté politique est là, désormais.

C’est une mobilisation générale que nous devons désormais entraîner.

Si nos amis américains se préoccupent enfin de mettre en valeur dans le monde ce « pouvoir intelligent », nous avons besoin, partout en France, au Quai d’Orsay mais également dans les autres administrations, avec notre audiovisuel extérieur, avec nos grandes entreprises, avec les collectivités territoriales, de femmes et d’hommes de bonne volonté pour qui le dialogue par la culture est la manière la plus efficace et partagée de faire de la bonne diplomatie.


3 articles dans Libération du 23 janvier 2009

1 article dans Le Monde daté du 24 janvier 2009

1 tribune de Bernard Kouchner dans Libération du 27 janvier 2009

1 article d'Olivier Poivre d'Arvor dans Le Figaro du 27 janvier 2009

Le communiqué du Sgen-CFDT